Ohé matelot ! Quelques pérégrinations en voiliers

Ohé matelot !    Quelques pérégrinations en voiliers

La pêche

La pêche est une activité épatante pour égayer une croisière à la voile. Cependant, ne vous y trompez pas, c'est une affaire de spécialistes, voire de professionnels. Si vous ne faites pas partie de ces deux populations, n'entretenez aucune illusion. Vous attraperez probablement un poisson de temps en temps, sans savoir pourquoi ce jour-là plutôt qu'un autre, mais le plus souvent vous vous contenterez de tremper le matériel dans l'eau et de le remonter le soir. Le plaisir de manger le produit de votre pêche n'en sera que plus grand. En revanche vous aurez souvent des histoires à raconter, et toujours la satisfaction de contribuer à la relance de l'économie par l'intermédiaire des shipchandlers et autre marchands d'articles de pêche chez qui vous laisserez votre chemise.

En effet, la première étape passe par la case équipement. D'abord, comme pour la pêche sous-marine, il vous faut un poignard à la lame bien affûtée. C'est une question de sécurité sur laquelle vous ne devez pas lésiner. Pour le reste, vous n'avez que l'embarras du choix parmi une extraordinaire variété de matériel : canes à pêche, moulinets, fils, plombs, leurres, hameçons, sans compter les filets et les casiers... Vous n'êtes pas obligé d'acheter la panoplie complète mais il y a un minimum. Une cane sans fil et sans hameçon offre des perspectives limitées, il vous faudra donc sélectionner et assortir les différents éléments de base. Cependant, sachez bien que chaque combinaison est adaptée à une espèce de poisson, une profondeur, une vitesse, une saison, une heure de la journée, une météo, une région et bien entendu à l'âge du capitaine. Mais alors, comment choisir ? La tentation est grande de solliciter l'avis d'un pêcheur expérimenté. Ce n'est pas ce qui manque, et ils ont toujours des bons conseils à proposer. Suivant le pêcheur expérimenté auquel vous vous adresserez, les recommandations peuvent varier mais ça n'est pas grave puisque de toute manière vous n'y connaissez rien. Si vous les écoutez, vous risquez de vous équiper d'une cane en carbone, sur laquelle vous monterez un moulinet inoxydable en titane, avec du fil dont le diamètre bien particulier dépendra du poisson que vous allez tenter de pêcher, prolongé d'un bas de ligne ad-hoc. Mais quelle que soit votre option, les principes de base restent valables. C'est un peu comme le vélo, on peut acheter le matériel le plus sophistiqué du marché, au bout du bout, il faut toujours pédaler. Donc tant que vous ne serez pas devenu vous-même un pêcheur expérimenté, vous passerez plus de temps à transpirer sur le matériel qu'à monter sur les podiums.

Sur Zéro, nous avons une planchette en bois sur laquelle sont enroulés une cinquantaine de mètres de gros fil en nylon bien solide avec au bout, un leurre d'une quinzaine de centimètres de long en forme de poisson, sur lequel sont accrochés de gros hameçons pointus et rouillés. Il en existe de différentes couleurs. Chacun ses goûts mais d'après notre expérience, la coryphène apprécie le blanc et le thazard raffole du jaune.

Une fois que vous êtes équipé, les ressources halieutiques sont à vous.

Pour commencer, avant de mettre la ligne à l'eau, il convient d'assembler les différents éléments dont vous venez de faire l'acquisition. Ce n'est pas le plus facile car les nœuds de pêcheur sont très différents des nœuds de marin. Et le fil de pêche, comme ses cousins le fil électrique et le fil de couture, est animé d'un esprit de contradiction bien affirmé. Pendant que vous vous efforcez de passer l'extrémité du fil dans une série de boucles pour le nouer à l'émerillon, immanquablement, les boucles se défont, puis la bobine de fil tombe, le fil se dévide, fait des nœuds là où il ne faudrait pas, se prend dans l'hameçon... Et là il faut impérativement reprendre le contrôle de la situation, sans faire de geste brusque, sous peine de se retrouver rapidement entortillé dans un kilomètre de fil de pêche rigoureusement incassable, et hérissé d'hameçons acérés. Si cela vous arrive, efforcez-vous d'attraper le poignard pour vous dégager. D'autre part, je déconseille formellement la présence d'une petite amie en maillot de bain à proximité. Comme pour le bricolage, ses questions naïves auront un côté charmant pendant le déballage de votre attirail, mais deviendront très rapidement exaspérantes lorsque vous entrerez dans la phase de montage-nouage-démêlage... Elle pourrait aussi s'effaroucher lorsque vous lâcherez une bordée de jurons après avoir malencontreusement laissé échapper le poignard par dessus bord. Dans le pire des cas, elle risque de développer subitement une étrange réceptivité au charme du chirurgien qui aura extrait vos hameçons des parties charnues de son anatomie.

La pêche est une activité solitaire qui exige de la patience et une grande maîtrise de soi.

Sur un voilier on pêche en général à la traîne. C'est à dire que l'on mouille une ligne à l'arrière du bateau pendant la navigation, en espérant qu'un bon poisson voudra bien venir gober le leurre et les hameçons associés. Ce n'est toutefois pas absolument indispensable dans certaines zones de navigation. Sur la route du Brésil par exemple, on croise des bancs de poissons volants et les moins chanceux d'entre eux terminent leur trajectoire sur le pont ou dans les voiles. Cependant l'exocet est plus réputé dans le domaine de l'armement que sur le plan gustatif. En Norvège, il suffit (dixit Philippe, le skipper pêcheur) de tremper un bout de fil dans l'eau pour sortir autant de poissons qu'on en souhaite. Mais c'est moins drôle.

Une fois en mer, les voiles réglées et le bateau rangé, vous allez donc tester votre nouvel équipement. Vous pouvez tenir la cane à pêche à la main mais on s'en lasse vite. Le mieux est donc de la fixer au bateau et si jamais un poisson se laisse prendre, vous serez immanquablement averti par le cliquetis du moulinet laissant dérouler du fil. Au prix que coûtent de nos jours une cane, un moulinet et tout le fourbi accroché au fil, vous avez intérêt à bien l'accrocher. Sur Zéro, nous frappons le fil de nylon sur le balcon arrière au moyen d'un double nœud. Les premiers mètres de fil sont pris sur un sandow dont l'élasticité empêche le poisson de casser le fil d'une brutale secousse, et dont la mise en extension nous avertit d'une touche.

Si le moulinet cliquette ou si le sandow se tend, il n'y a qu'à remonter le fil, sortir le poisson de l'eau et le hisser à bord.

Cela paraît somme toute assez simple, mais en dehors de ce cas de figure idéal, des tas d'événements imprévus peuvent se produire. En voici quelques uns :

  • vous avez oublié d'accrocher le fil au moulinet et le temps de réagir, tout le reste de fil s'est déroulé et le poisson est parti avec (fil, bas de ligne, plombs, leurre, ça vous coûtera au bas mot quarante euro).

  • vous avez touché un gros poisson et le bas de ligne a cassé ; vous avez perdu au moins le leurre et les hameçons (disons vingt euro).

  • le poisson se défend, vous arrivez à l'amener jusqu'au bateau mais au dernier moment, d'une violente secousse, il réussit à se libérer ; vous êtes déçu et en plus vous constatez que l'hameçon est cassé ; si vous n'en avez pas de rechange, le leurre est inutilisable.

  • le soir tombe ou vous arrivez au port ou au mouillage, vous remontez la ligne et vous vous apercevez qu'il n'y a plus rien au bout (vingt euro).

  • vous avez sorti un beau poisson et réussi à le hisser dans le cockpit, avec bien du mal vous avez décroché l'hameçon de sa bouche et au moment ou vous soufflez enfin un bon coup en le regardant avec satisfaction, il se tend comme un ressort et saute à l'eau ; en plus il vous a bien semblé qu'il a souri en clignant de l’œil.

  • le moulinet cliquette, vous vous précipitez et commencez à remonter la ligne. Ça doit être gros parce que ça résiste. Vous y allez avec du doigté pour le fatiguer et ne pas casser le matériel. A cinq mètres du bateau, vous constatez que vous avez attrapé un paquet d'algues ou un sac en plastique.

  • machinalement vous jetez un coup d’œil sur la ligne ; ça éclabousse fort dans le sillage, cette fois, il y a quelque chose ! Vous remontez la ligne et le fil n'a pas son aspect habituel ; il s'entortille sur lui-même tellement fort qu'il s'emmêle inextricablement au fur et à mesure que vous le sortez de l'eau. Vous constatez que le leurre s'est accroché dans le fil et a tourné sur lui-même un milliard de fois au cours des deux dernières heures pendant votre sieste. Cinquante mètres de fil foutus.

  • pour améliorer vos chances vous avez posé une deuxième ligne ; c'est conseillé dans les bouquins ; les deux lignes se sont emmêlées l'une dans l'autre et vous ressortez un énorme paquet de fil ; rien d'irrémédiable mais ça va vous occuper un moment.

  • vous arrivez au mouillage ; après avoir fait deux fois le tour entre les bateaux et posé la pioche, vous vous apercevez que vous avez oublié de remonter la ligne ; elle fait le tour de toutes les chaînes d'ancre et vous êtes bon pour sortir le masque, le tuba et les palmes. Sinon c'est vingt euro.

Voici donc quelques uns des désagréments les plus courants auxquels sera inévitablement confronté le plaisancier qui a décidé de s'essayer à la pêche. Néanmoins il se peut aussi que Neptune soit bienveillant à son égard ou qu'il ait du talent. Dans ce cas la récompense sera à la hauteur de l'investissement. Ainsi depuis notre départ de Brava au Cap Vert, nous avons pêché trois thazards totalisant ainsi plus de vingt kilos d'un poisson à la chair absolument délicieuse. Nous avons aussi manqué une énorme coryphène qui a réussi à s'échapper en cassant un hameçon.

Cependant, pour le cas où l'on jouerait de malchance, il sera toujours prudent d'approvisionner avant la croisière quelques boîtes de maquereaux au vin blanc, de sardines et de thon à l'huile.

Toutefois, la médaille a son revers... Si la pêche est fructueuse, après huit jours de mer, vous aurez mangé du poisson à tous les repas. A la tahitienne, au court-bouillon, grillé, panné, froid à la mayonnaise, au curry, à la noix de coco, en rougail. Vous aurez mâchonné pendant des heures des lanières de poisson séché durant vos quarts. Et lorsque le cuistot émergera de sa cambuse en vous annonçant triomphalement qu'il a préparé une bonne soupe de poisson avec la tête et la queue pour ne rien gaspiller, vous n'aurez qu'une envie : le découper en rondelles comme un saucisson pour le faire taire et laisser libre cours aux instincts carnassiers de l'amateur de viande qui sommeille en vous...

 

Ce pêcheur expérimenté a attrapé un magnifique thazard

 

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04/04/2011

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