Ohé matelot ! Quelques pérégrinations en voiliers

Ohé matelot !    Quelques pérégrinations en voiliers

Zéro à Cuba - avril 2012

 

La Havane dimanche 8 et lundi 9 avril 2012

Havana Vieja, la vieille ville, grouillante de touristes, quartier incontournable de la Havane, capitale d'une terre de contrastes et de paradoxes. Mélange de vieilles bâtisses de pierre magnifiquement restaurées ou rongées par l'humidité tropicale et de quelques immeubles ultra-modernes de verre et d'aluminium. Les ruelles à angle droit, taillées au cordeau portent des noms traditionnels alors que dans les quartiers voisins les rues et les avenues ne sont que des numéros. Le quartier est un vaste chantier de rénovation et nombreux sont les établissements fermés pour cause de travaux. Comme dans toutes les villes touristiques, nous sommes des proies pour les revendeurs en tous genres : rabatteurs pour les hôtels, les restaurants, les taxis. A chaque pays sa spécialité. Les sénégalais, se sont emparés du marché des téléphones portables et des cartes SIM, les cubains férus de tradition vous proposent du rhum de la musique et des cigares. C'est vrai qu'ici on voit très peu de gens équipés de téléphones. Disons que les produits locaux induisent plutôt une communication directe et de proximité. Chacun ses goûts. En revanche sur le plan des taxis, il n'y a pas photo. A Dakar, des berlines familiales déglinguées, réparées aux chewing-gum et bouts de ficelle. A La Havane, de somptueuses limousines américaines des années cinquante, d'avant le blocus économique, plus ou moins bien restaurées ou entretenues, mais toujours fascinantes. Premier contact en sortant de l'aéroport, le jeune chauffeur qui nous accompagne jusqu'à sa voiture nous annonce fièrement que son taxi est une Chevrolet de 1955 ! Nous sommes époustouflés.

 

 

Certes l'intérieur fait son âge, et même plus ; le cuir des banquettes est très abîmé et tous les accessoires ont disparu. Il ne reste que le volant, les pédales et le levier de vitesse ! Mais,bon, c'est une vraie et le moteur tourne ! Nous en verrons d'autres dont la carrosserie et les chromes brillent comme un sou neuf, sellerie en parfait état et entièrement équipées. Le blocus américain a probablement fait de Cuba le plus beau musée vivant de l'automobile au monde.

 

 

Nous déambulons au hasard des rues, des avenues ornées de monuments à la mémoire des héros de la Révolution, et des places majestueuses. Le Malecon est la promenade des anglais de La Havane. Longue avenue en front de mer, avec beaucoup moins de circulation automobile, pas de boutiques, et malheureusement pas non plus de plage car la côte est rocheuse. Une baignade aurait pourtant été bienvenue car il fait chaud... La jetée est battue par les flots qui projettent des embruns sur le trottoir. Au point que les guides touristiques mentionnent d'être prudent. Par endroits il est effectivement transformé en une véritable patinoire et nous en faisons l'expérience sous les yeux mi-goguenards mi-compatissants d'un couple de promeneurs cubains.

 

 

 

 

 

 

 

 

A La Havane nous ne réussissons à manger que des sandwiches. Le soir de notre arrivée, un petit tour dans les rues environnantes de notre « casa particular » l'équivalent d'une chambre d'hôtes située à l'écart des centres touristiques, nous mène jusqu'à une sorte de snack devant lequel des familles et des groupes d'amis cubains font la queue, dans l'attente d'une table (en plastique). L'impatience nous pousse vers le comptoir et nous repartons avec deux hot-dogs. Pain de mie sans croûte et saucisse molle. Le lendemain, dans la vieille ville, les « especial sandwiches » du café Santo Domingo nous tentent. L'endroit est particulièrement recommandé par le guide touristique. Trois tables en plastique posées au milieu de la rue piétonne, exclusivement occupées par des touristes. Deux gros sandwiches jambon fromage au même pain insipide que la veille et des canettes de bière ou de soda. Les trois rondelles de tomates sont appréciables, mais l'expérience confirme que suivre les indications d'un guide imprimé à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires à travers le monde n'est pas le meilleur moyen de vivre agréablement en pays étranger. Un moment plus tard, marchant à travers les rues du quartier voisin moins fréquenté, nous passerons avec regret devant de petits restaurants servant à leur clientèle locale d'appétissantes assiettes...

 

Notre "casa particular" ne paye pas de mine. Une grille, une cour, une maison étroite à la façade décrépie. Un escalier étroit mène au premier étage, dans un appartement tout en longueur. Les pièces sont meublées dans un style kitsch absolu mais avec tant de soin que l'on se sent comme dans un palace. La chambre est équipée d'un climatiseur mural fabriqué en URSS. Autant dire qu'il n'est plus de première jeunesse... Mais il fonctionne, produisant autant de froid que de bruit ! La salle de bain attenante à la chambre est comme les voitures, style années cinquante et la douche, malgré ses deux robinets, ne laisse couler qu'un filet d'eau fraîche. Avec la fatigue du voyage et le décalage horaire, son goutte à goutte régulier (elle fuit) ne nous empêche pas de dormir.

 

 

 

 

 

Le lendemain matin, un somptueux petit déjeuner nous est servi par nos hôtes dans la cuisine : café, jus de goyave, œufs brouillés, pain, beurre, fromage, fruits frais... La générosité est réelle ; celle du décor fait sourire, celle de la cuisine est délicieuse.

 

 

Navigation de Pilon à Cabo Cruz, vendredi 13 avril 2012.

Journée de navigation paisible. Un peu de moteur avant que ne s'établisse la brise thermique de mer. Nous croisons deux voiliers avant d'arriver au Cabo Cruz, point extrême sud de Cuba. Pour aller mouiller devant le village il faut contourner un récif de corail qui avance très loin au large et sur lequel la mer brise constamment. Le récif est balisé mais il avance encore au moins deux cents mètres au delà de la bouée ! Une fois passé derrière, on mouille dans trois mètres d'eau transparente et l'on distingue très bien le récif affleurant et les vagues qui se brisent dessus.

 

 

 

 

Le village est réduit à sa plus simple expression. La route côtière devient la rue, puis un chemin qui se termine dans l'eau et la mangrove. Autour du très beau phare qui jouxte une magnifique maison coloniale à colonnes, quelques petites maisons et des cabanes entourées de jardins dans lesquels on aperçoit des poules et des cochons. Un groupe de jeunes garçons jouent au base ball dans la rue, avec les moyens du bord ; un bâton, une balle en tissu et un gant bricolé, dans une ambiance passionnée et bon enfant, sous le regard bienveillant de leurs aînés. Les gens nous remarquent évidemment et sont toujours aimables et avenants. Aucun engin à moteur dans le village, excepté les bateaux de pêche antédiluviens en ferro-ciment amarrés au quai de la pêcherie. Une école dont les salles de classes sont parfaitement équipées, quelques commerces fermés et un restaurant où nous dégustons le repas probablement le moins cher de notre séjour, avec quand même de la langouste, des crevettes et du poisson fraîchement pêché. Le vin rouge de Cuba ne nous laissera pas un souvenir impérissable. Il se boit bien frais. Une fois revenus au bateau, nous contemplons un magnifique coucher de soleil et lorsque l'obscurité s'établit nous apercevons à quelques mètres de l'arrière du bateau deux nageurs qui approchent furtivement. Ce sont deux jeunes que nous avons rencontrés à terre et qui nous ont proposé des langoustes, mais la discrétion étant de rigueur, ils ont préféré nager jusqu'au bateau dans l'obscurité pour nous les apporter. Elles ne sont pas très vivaces mais compte tenu de la distance, nous n'avons pas le cœur à trop marchander et nous leur en offrons un bon prix, avec quelques hameçons et un verre de rhum martiniquais en prime. Ils apprécient. Toute la scène se déroule quasiment dans le noir car il craignent d'être repérés par les autorités. Pourtant c'est le premier endroit depuis Santiago où nous n'avons été soumis à aucune tracasserie administrative. L'ouverture du marché est lancée.  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cabo Cruz, samedi 14 avril 2012.

Lever à l'aube en prévision d'un saut de puce d'une cinquantaine de miles pour rejoindre au plus vite la zone des « jardins de la reine » dans laquelle nous comptons aller patauger pendant quelques jours avant de rejoindre Cienfuegos. C'est une barrière de cayes presque ininterrompue qui s'étend sur une centaine de miles, au large de la côte sud de Cuba. Nous devrions y trouver quelques mouillages de rêve au milieu d'un labyrinthe de corail.

Un coup d’œil à l'extérieur pour vérifier le temps et deux catamarans nous sautent à la figure. L'un est ancré à l'extérieur du reef mais l'autre semble bien échoué, impression confirmée par son orientation travers au vent et par un contact VHF. Un troisième arrive du large et nous demande conseil pour rejoindre le mouillage. Nous lui expliquons le cheminement et décidons d'aller sur place pour aider les autres. Traversée du reef en annexe ; il mesure une vingtaine de mètres de large et affleure la surface de l'eau, entre zéro et cinquante centimètres de profondeur. Le bateau est bien posé sur le bord extérieur mais ne prend pas l'eau. Pour l'instant... car le vent vient du large et les vagues aussi, heureusement pas trop fortes et il tape continuellement sur le récif. La marée est presque haute, les ancres sont portées pour tenir le bateau en espérant que la mer finira par le soulever. Les trois annexes conjuguent leurs efforts qui pour tirer, qui pour pousser. En vain. Je monte à bord. Jonathan, le skipper sud africain nous accueille et malgré sa situation critique n'oublie pas son sens de l'hospitalité. Il plaisante, sourit et nous propose même des cigares. Son bateau est posé sur le reef depuis trois heures du matin. Dans la nuit noire, probablement fatigué, avec des cartes électroniques qui ne mentionnent pas la longue barrière de corail à contourner pour rejoindre Cabo Cruz, il a visé droit entre les deux bouées rouge et verte qui balisent le chenal. Il a juste oublié que les couleurs sont inversées par rapport à chez lui et qu'il aurait fallu arriver du nord et non du sud....A huit nœuds sous voile, le cata est monté sur le reef dans un bruit d'enfer !... Heureusement, sa famille est en sécurité sur l'autre catamaran. Avec les deux skippers et les plus grands des garçons, nous continuons à travailler, pendant que l'une des annexes part au port solliciter l'aide d'un navire puissant qui pourrait tirer plus efficacement. Nous avons remarqué hier une jolie vedette style SNSM marquée PILOT, amarrée devant le quai des pêcheurs. A force d'efforts, moteurs à fond, le bateau semble bouger. L'amarre arrière sert de point d'appui, mais en tension, elle est bloquée par un tour de trop sur son taquet ; tant pis, on la coupe et le catamaran se libère instantanément. En avançant la chaîne de son ancre retourne comme une crêpe l'annexe de Zéro qui s’apprêtait à porter son ancre un peu plus loin. Philippe prend un bain et l'annexe est coincée, à l'envers sous le cata.. Un peu de pagaille.... En la dégonflant légèrement, elle se décoince ; on coupe le bout d'amarrage qui évidemment est allé se prendre dans l'hélice du moteur bâbord, on la retourne et miraculeusement tout est resté à l'intérieur : la nourrice d'essence, l'ancre et sa chaîne, les clés, la VHF portable et les jeunes récupèrent ce qui flotte autour : écope, éponge, tongues ; l'inventaire est complet ! Malheureusement la VHF est étanche à l'aspersion mais pas à l'immersion. Elle ne s'en remettra pas. Pendant que les jeunes vont récupérer l'ancre restée sur le reef, tout le monde décompresse et nous faisons plus ample connaissance autour d'un bon café de République Dominicaine. Les trois catamarans se sont rencontrés il y a quelques jours et naviguent ensemble. Trois familles avec huit enfants en tout, de huit à dix-huit ans, sud-africains, australiens et une suédoise, tous partis pour plusieurs mois de voyage. Voyant que j'apprécie son café, Jona m'en offre immédiatement deux paquets, et à Philippe une VHF étanche et flottante en remplacement de la nôtre. Il est tellement soulagé qu'il nous offrirait tout ce que l'on pourrait avoir envie de prendre à son bord ! Après une sérieuse révision, le moteur de notre annexe qui a bu la tasse à l'eau de mer (pas très bon...), finit par redémarrer et semble même tourner mieux qu'avant. Finalement, au bilan des dégâts : les plans anti-dérive du catamaran sont à refaire, la protection d'hélice de notre annexe a été cassée lors du passage sous le cata, une VHF portable perdue, deux bouts d'amarrage coupés et quelques heures de sommeil en moins. Jona nous a quand même avoué avoir vécu les heures les plus longues de son existence.

Nous avions prévu de lever l'ancre de bonne heure pour une bonne navigation. Les événements en ont décidé autrement. Cette journée qui aurait pu entrer dans les annales des « fortunes de mer » nous a finalement apporté une riche expérience et probablement une amitié indéfectible.

 

 

 

 

 



18/05/2012

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