Ohé matelot ! Quelques pérégrinations en voiliers

Ohé matelot !    Quelques pérégrinations en voiliers

Propos marins

La vie de marin ; à bord, en navigation, au mouillage... la vie, quoi !

 

Une nuit au mouillage

L'outillage de bord 

Le passage de la Ligne

La pêche

Une bonne journée en croisière

 

 


Une nuit au mouillage

Baie de Hann, Dakar, Sénégal - Nuit expérimentale : capot de pont ouvert pour essayer de compenser la chaleur liée à l'absence de vent dans la journée. La moustiquaire a été installée auparavant. Rien de plus simple : un carré de tissu légèrement plus grand que le capot, à la périphérie duquel sont cousus dans l'ourlet des petits plombs qui, disposés à l'extérieur du cadre maintiennent la moustiquaire en place.

On le met en place de l'extérieur, sur le pont, après avoir ouvert le capot. Un système très efficace qui démontre une fois de plus le sens pratique des marins. Bien sur, malgré sa simplicité apparente, le système est plus complexe à mettre en œuvre qu'il n'y paraît, car la gravité fait que l'ensemble à une fâcheuse tendance à tomber à l'intérieur. Si cela se produit il faut malheureusement faire le tour par l'arrière pour redescendre à l'intérieur de la cabine située à l'avant, récupérer l'objet et refaire le parcours en sens inverse.

Sur Zéro, l'opération est un mixte de marathon, compte tenu de sa taille, et de parcours du combattant, compte tenu que c'est un bateau. Pour éviter cela, il faut utiliser la totalité des moyens disponibles, c'est à dire les mains, les pieds et les coudes pour maintenir simultanément en place les coins et les côtés, pendant que du menton, on rabat légèrement le capot afin que les charnières coincent tout le système en place. Cette technique nécessite un minimum de souplesse et de dextérité mais heureusement tous les organes nécessaires font normalement partie de l'équipement standard du marin subtropical et sont même assez performants, surtout les coudes... Après quelques essais, et donc l'équivalent d'un demi-marathon encombré de bouts, d'amarres, d'écoutes, de drisses, de winches et accessoires d'accastillage divers, l'installation est en place et laisse présager une nuit de repos paisible et réparatrice.

En réalité, la moustiquaire permet de profiter à la fois de l'air chaud du dehors, et de la musique folklorique jusqu'à une heure avancée (euphémisme) de la nuit. Il semble bien que les chants et les rythmes lancinants des djembés proviennent du village des pêcheurs. Pourtant ils sont déjà à l’œuvre sur leurs pirogues bien avant le lever du soleil... Décidément le sénégalais a le sens du rythme et de la fête ! La moustiquaire semble efficace. Malheureusement les moustiques sont à l'intérieur de la cabine. Ça doit les énerver de ne pas pouvoir sortir et ils se vengent en me piquant. Mer calme mais nuit agitée. Sans compter les effluves nauséabondes qui arrivent par moment du dehors et que la moustiquaire est impuissante à contenir.

Réveil bien avant l'aube à l'heure du muezzin... Lever normalement avec le soleil. C'est aujourd'hui qu'arrive l'équipe médicale de Voiles Sans Frontières. Nous faisons un grand ménage-rangement à l'intérieur pour faire bonne impression. Bien contents du travail accompli, nous nous préparons à débarquer et en sortant sur le pont, nous découvrons les ravages causés par une horde de volatiles qui a du passer la nuit dans la mâture. Le roof et la grand voile sont recouverts de guano. Il ne nous reste qu'à passer à l'action à coup de seaux d'eau et au balai brosse.

Pas toujours rose, la vie de marin...

 

Propos suivant : "L'outillage de bord" 


30/03/2011


L'outillage de bord

Pour bien appréhender la problématique du bricolage sur un navire de plaisance, il faut savoir qu'un architecte naval a pour principal objectif de faire tenir un maximum d'équipements de toute sorte dans un volume minimum. En effet un bateau à voiles, ce n'est pas seulement une coque et un mât mais tout un inventaire à la Prévert de systèmes plus ou moins sophistiqués pour régler les voiles, tenir le mât, faire avancer le bateau, le faire tourner, l'immobiliser, produire du froid, produire du chaud, aspirer l'eau de mer, l'eau douce, l'eau grise, l'eau noire, les évacuer, produire de l'énergie, la convertir, la consommer...

Tous ces moteurs thermiques ou électriques, ces pompes, ces appareils électroniques, ces tuyaux, ces circuits électriques, ces drisses, ces safrans ont évidemment une fâcheuse tendance à refuser de fonctionner au moment où l'on en a besoin. Il faut leur consacrer beaucoup d'attention et toujours être en mesure de les entretenir, de les réparer, de les changer. Un voilier est donc une caisse à outils géante déguisée en bateau. En moins pratique car on ne peut pas l'ouvrir en écartant les poignées.

Pour accéder à n'importe lequel de ces éléments, vous devrez soulever des coussins, des panneaux de bois, des planchers, des trappes, vous insinuer dans des espaces confinés, obscurs, humides, chauds l'été et froids l'hiver, hérissés d'angles aigus, de têtes de robinets, de vannes et autres objets contondants variés.

 

 

Cale moteur

 

Lorsqu'au prix de multiples contorsions, éraflures et ecchymoses, vous aurez réussi à vous frayer un passage entre le moteur, les batteries et l'arbre d'hélice, vous vous apercevrez généralement que vous avez oublié votre frontale sur la table à cartes ou qu'il vous est absolument impossible d'approcher votre main gauche de la poche du short dans laquelle vous aviez préalablement pris la précaution de glisser le tournevis cruciforme indispensable au démontage du filtre à gazole.

La loi de Murphy s'applique très bien au bricolage domestique, et encore mieux au bricolage de plaisance.

 

 Une autre, à l'avant

 

Lorsque vous vous décidez à vous y mettre, c'est soit à titre préventif parce que vous êtes prudent et organisé, soit dans l'urgence parce que vous aviez mieux à faire et que vous pensiez que ça tiendrait bien encore un peu. Dans les deux cas, l'outil dont vous avez besoin est généralement celui que vous avez prêté à votre voisin de ponton la semaine dernière et qu'il a oublié de vous rendre. Il arrive parfois qu'il se trouve dans la caisse à outils, mais alors bien caché, tout au fond. S'il n'y est pas, tous les bricoleurs du dimanche le savent bien, ce n'est pas la peine de perdre la matinée à le chercher car il se trouve dans un endroit hautement improbable comme le réfrigérateur, la table de nuit ou l'armoire de toilette, et vous ne le retrouverez que dans un mois ou deux.

 

La même, vue du dedans

 

Il est là ou vous l'avez posé négligemment la dernière fois que vous l'avez utilisé, ou bien là où quelqu'un de bien intentionné l'a rangé la dernière fois que vous l'avez laissé traîner, donc introuvable. Il vaut mieux filer directement à la quincaillerie la plus proche en acheter un autre. Vous doublez ainsi vos chances de le trouver la prochaine fois que vous bricolerez et ça sera toujours utile car sur un bateau, en plus de se perdre, les outils ont aussi une tendance naturelle à se tordre, à rouiller, à se coincer, bref, tout ce qu'ils peuvent imaginer pour nous compliquer l'existence.

 

Une troisième, à l'arrière

 

Évidemment, l'option quincaillerie n'est envisageable que si vous menez une action préventive et si on n'est pas dimanche ou le soir ou un jour férié ou … Dans ce cas la meilleure stratégie est d'aller emprunter l'outil qui va bien à votre voisin de ponton, surtout si c'est l'heure de l'apéritif. Mais si vous êtes en situation de dépannage d'urgence, c'est à dire en mer, avec votre grand voile coincée, votre moteur qui refuse de démarrer, la pompe des toilettes qui refoule ou tout autre panne désagréable, la quincaillerie et le voisin de ponton les plus proches ne constituent pas des options adaptées. Il faut se débrouiller comme l'on dit, avec les moyens du bord.

C'est comme ça qu'on se retrouve dans la nuit africaine (noire), à essayer de décoincer une chaîne d'ancre bloquée dans le guindeau avec un marteau et un tournevis, pendant que le bateau dérive inexorablement.

Pas toujours simple, la vie de marin.

  

Chronique précédente : Une nuit au mouillage en Baie de Hann

Chronique suivante : "Le passage de la Ligne"

 

 

 

 


02/04/2011


Le passage de la ligne

 

Il y a deux sortes de marins. Ceux qui ont franchi l'équateur en bateau, et les autres. Lorsqu'un navire passe la Ligne, il est d'usage que les novices soient intronisés par les Anciens, au cours d'une cérémonie solennelle. Bien entendu, les marins ne sont pas superstitieux. Mais tout comme pour les animaux à grandes oreilles dont il ne faut pas prononcer le nom à bord, il serait tout à fait déraisonnable de ne pas respecter cette coutume.

Il n'y a aucun Ancien à bord de Zéro mais ce n'est pas une raison pour esquiver la tradition. Nous allons donc nous débrouiller par nos propres moyens.

 

Cérémonie

L'ordonnateur

Jeunes néophytes prétentieux, vous osez vous présenter devant le Dieu Neptune ? Êtes-vous prêts à subir cette épreuve ? Croyez-vous être dignes d'être accueillis dans son royaume ? Reconnaissez vos turpitudes et il sera peut-être tenu compte de vos éventuels mérites.

 

Neptune

Gilles , qu'as tu sur la conscience ? Vide ton sac avant que de te présenter devant moi.

Premier Néophyte

Et bien rien que pendant cette croisière, j'ai fait tomber une clé de treize dans les fonds, j'ai échoué le bateau sur les bancs de sable du Saloum et j'ai coincé deux fois la chaîne dans le guindeau...

Neptune

Effectivement, tu as encore bien des milles à courir avant que d'être un vrai marin et je m'attends encore à te voir commettre les pires âneries. Mais tu reconnais honnêtement tes fautes, j'apprécie cette humilité et je t'accepte en mon Royaume.

Onction à l'eau de mer à l'aide de la brosse à vaisselle.

 

Neptune

Stéphane, qu'as tu sur la conscience ? Vide ton sac avant que de te présenter devant moi.

Deuxième Néophyte

Euh...

Neptune

Stéphane, certains navigateurs se gavent de nourritures industrielles déshydratées, artificiellement vitaminées, sels minéralisées, violemment colorées et vont parfois même jusqu'à en jeter par dessus bord encore toutes emballées pour alléger leur bateau et gagner de la vitesse. Toi, tu défends la gastronomie, la vraie cuisine et les bons produits et de plus tu as très souvent partagé ta nourriture avec mes sujets poissons depuis que tu t'aventures sur mes flots ; je te suis reconnaissant de cette générosité envers mon peuple et je t'accepte en mon Royaume.

Onction à l'eau de mer à l'aide de la brosse à vaisselle.

 

Neptune

Sandra, qu'as tu sur la conscience ? Vide ton sac avant que de te présenter devant moi.

Troisième Néophyte

Euh... j'ai un peu confondu les écoutes avec les drisses, les aussières avec les bosses de ris et les balancines avec les hâle-bas...

Neptune

Sandra, certains navigateurs solitaires ou non, mettent un point d'honneur à ne pas fermer l’œil en mer, pour battre des records de vitesse, croyant sans doute ainsi se montrer plus fort que les éléments. Toi, tu as reconnu avec humilité ta fatigue : tu as dormi 23 heures par jour sur 24 depuis le départ. J'apprécie cette modestie, cette honnêteté et je t'accepte en mon Royaume.

Onction à l'eau de mer à l'aide de la brosse à vaisselle.

 

Neptune

Philippe, qu'as tu sur la conscience ? Vide ton sac avant que de te présenter devant moi.

Quatrième Néophyte

Grmbrffff...

Neptune

Philippe, certains jeunes marins présomptueux se lancent à l'aventure sur les grandes mers. Toi, tu as pris le temps, tu as construit un beau bateau et avec lui tu emmènes de jeunes et élégants bipèdes à la découverte des océans et vers de lointaines contrées ; tu leur apprends à respecter la beauté de la mer, avec prudence et humilité ; et surtout quand j'accroche deux poissons à tes hameçons, tu t'arranges l'air de rien pour en laisser partir un. J'apprécie ce savoir-vivre et je t'accepte en mon Royaume.

Onction à l'eau de mer à l'aide de la brosse à vaisselle.

 

Neptune

Toubab, qu'as tu sur la conscience ? Vide ton sac avant que de te présenter devant moi.

Cinquième Néophyte

Miaou !

Neptune

Bon, tu as bouffé dans les gamelles de l'équipage et chié dans le carré ; tu as bien fait ; ça leur apprendra à ces jeunes néophytes que la nature a toujours le dernier mot, si elle le veut ! Pour cette grande leçon de sagesse, je t'accepte en mon Royaume.

Onction à l'eau de mer à l'aide de la brosse à vaisselle.

Cinquième Néophyte

MIAOU !!!

 

Neptune

Zéro, qu'as tu sur la conscience ? Vide ton sac avant que de te présenter devant moi.

Sixième Néophyte 

Clapotis

Neptune

J'ai vu des bateaux poubelles qui pissent de l'huile de vidange, mille après mille et terminent parfois éventrés sur les rochers tout dégueulants de mazout. Toi, tu es un fier navire, beau, endurant, solide et efficace. J'ai plaisir à te voir courir sur mes flots et je t'accepte en mon Royaume.

Onction à l'eau de mer à l'aide de la brosse à vaisselle.

 

L'ordonnateur

Bienvenue au Royaume de Neptune, car vous êtes tous dignes de voyager sur les flots des mers et des océans !

 

Champagne et gâteau aux pommes

Conformément à la tradition, une coupe est versée dans l'océan.

 

Neptune

Qu'est-ce que c'est ? du champagne ?

L'ordonnateur

Oui, offert à l'équipage par Jean-Marc , marin et cuisinier émérite.

Neptune

Il est là aussi, celui-là ? Pourquoi il sort pas de sa cambuse ?

L'ordonnateur

Il est avec nous, de tout cœur ; sa cambuse, c'est le  Restaurant des Deux Places, à Lyon. Un fameux bouchon... Et il est marin.

Neptune

Bon... il faudra qu'il passe me voir un jour lui-aussi. A la vôtre, les enfants.

 

21 mars 2011 - cinq heures du matin – 0°00 N/S et 27°15 W

  

Zéro à l'équateur !

 

Propos précédent : L'outillage de bord

Propos suivant : La pêche

 

 


03/04/2011


La pêche

La pêche est une activité épatante pour égayer une croisière à la voile. Cependant, ne vous y trompez pas, c'est une affaire de spécialistes, voire de professionnels. Si vous ne faites pas partie de ces deux populations, n'entretenez aucune illusion. Vous attraperez probablement un poisson de temps en temps, sans savoir pourquoi ce jour-là plutôt qu'un autre, mais le plus souvent vous vous contenterez de tremper le matériel dans l'eau et de le remonter le soir. Le plaisir de manger le produit de votre pêche n'en sera que plus grand. En revanche vous aurez souvent des histoires à raconter, et toujours la satisfaction de contribuer à la relance de l'économie par l'intermédiaire des shipchandlers et autre marchands d'articles de pêche chez qui vous laisserez votre chemise.

En effet, la première étape passe par la case équipement. D'abord, comme pour la pêche sous-marine, il vous faut un poignard à la lame bien affûtée. C'est une question de sécurité sur laquelle vous ne devez pas lésiner. Pour le reste, vous n'avez que l'embarras du choix parmi une extraordinaire variété de matériel : canes à pêche, moulinets, fils, plombs, leurres, hameçons, sans compter les filets et les casiers... Vous n'êtes pas obligé d'acheter la panoplie complète mais il y a un minimum. Une cane sans fil et sans hameçon offre des perspectives limitées, il vous faudra donc sélectionner et assortir les différents éléments de base. Cependant, sachez bien que chaque combinaison est adaptée à une espèce de poisson, une profondeur, une vitesse, une saison, une heure de la journée, une météo, une région et bien entendu à l'âge du capitaine. Mais alors, comment choisir ? La tentation est grande de solliciter l'avis d'un pêcheur expérimenté. Ce n'est pas ce qui manque, et ils ont toujours des bons conseils à proposer. Suivant le pêcheur expérimenté auquel vous vous adresserez, les recommandations peuvent varier mais ça n'est pas grave puisque de toute manière vous n'y connaissez rien. Si vous les écoutez, vous risquez de vous équiper d'une cane en carbone, sur laquelle vous monterez un moulinet inoxydable en titane, avec du fil dont le diamètre bien particulier dépendra du poisson que vous allez tenter de pêcher, prolongé d'un bas de ligne ad-hoc. Mais quelle que soit votre option, les principes de base restent valables. C'est un peu comme le vélo, on peut acheter le matériel le plus sophistiqué du marché, au bout du bout, il faut toujours pédaler. Donc tant que vous ne serez pas devenu vous-même un pêcheur expérimenté, vous passerez plus de temps à transpirer sur le matériel qu'à monter sur les podiums.

Sur Zéro, nous avons une planchette en bois sur laquelle sont enroulés une cinquantaine de mètres de gros fil en nylon bien solide avec au bout, un leurre d'une quinzaine de centimètres de long en forme de poisson, sur lequel sont accrochés de gros hameçons pointus et rouillés. Il en existe de différentes couleurs. Chacun ses goûts mais d'après notre expérience, la coryphène apprécie le blanc et le thazard raffole du jaune.

Une fois que vous êtes équipé, les ressources halieutiques sont à vous.

Pour commencer, avant de mettre la ligne à l'eau, il convient d'assembler les différents éléments dont vous venez de faire l'acquisition. Ce n'est pas le plus facile car les nœuds de pêcheur sont très différents des nœuds de marin. Et le fil de pêche, comme ses cousins le fil électrique et le fil de couture, est animé d'un esprit de contradiction bien affirmé. Pendant que vous vous efforcez de passer l'extrémité du fil dans une série de boucles pour le nouer à l'émerillon, immanquablement, les boucles se défont, puis la bobine de fil tombe, le fil se dévide, fait des nœuds là où il ne faudrait pas, se prend dans l'hameçon... Et là il faut impérativement reprendre le contrôle de la situation, sans faire de geste brusque, sous peine de se retrouver rapidement entortillé dans un kilomètre de fil de pêche rigoureusement incassable, et hérissé d'hameçons acérés. Si cela vous arrive, efforcez-vous d'attraper le poignard pour vous dégager. D'autre part, je déconseille formellement la présence d'une petite amie en maillot de bain à proximité. Comme pour le bricolage, ses questions naïves auront un côté charmant pendant le déballage de votre attirail, mais deviendront très rapidement exaspérantes lorsque vous entrerez dans la phase de montage-nouage-démêlage... Elle pourrait aussi s'effaroucher lorsque vous lâcherez une bordée de jurons après avoir malencontreusement laissé échapper le poignard par dessus bord. Dans le pire des cas, elle risque de développer subitement une étrange réceptivité au charme du chirurgien qui aura extrait vos hameçons des parties charnues de son anatomie.

La pêche est une activité solitaire qui exige de la patience et une grande maîtrise de soi.

Sur un voilier on pêche en général à la traîne. C'est à dire que l'on mouille une ligne à l'arrière du bateau pendant la navigation, en espérant qu'un bon poisson voudra bien venir gober le leurre et les hameçons associés. Ce n'est toutefois pas absolument indispensable dans certaines zones de navigation. Sur la route du Brésil par exemple, on croise des bancs de poissons volants et les moins chanceux d'entre eux terminent leur trajectoire sur le pont ou dans les voiles. Cependant l'exocet est plus réputé dans le domaine de l'armement que sur le plan gustatif. En Norvège, il suffit (dixit Philippe, le skipper pêcheur) de tremper un bout de fil dans l'eau pour sortir autant de poissons qu'on en souhaite. Mais c'est moins drôle.

Une fois en mer, les voiles réglées et le bateau rangé, vous allez donc tester votre nouvel équipement. Vous pouvez tenir la cane à pêche à la main mais on s'en lasse vite. Le mieux est donc de la fixer au bateau et si jamais un poisson se laisse prendre, vous serez immanquablement averti par le cliquetis du moulinet laissant dérouler du fil. Au prix que coûtent de nos jours une cane, un moulinet et tout le fourbi accroché au fil, vous avez intérêt à bien l'accrocher. Sur Zéro, nous frappons le fil de nylon sur le balcon arrière au moyen d'un double nœud. Les premiers mètres de fil sont pris sur un sandow dont l'élasticité empêche le poisson de casser le fil d'une brutale secousse, et dont la mise en extension nous avertit d'une touche.

Si le moulinet cliquette ou si le sandow se tend, il n'y a qu'à remonter le fil, sortir le poisson de l'eau et le hisser à bord.

Cela paraît somme toute assez simple, mais en dehors de ce cas de figure idéal, des tas d'événements imprévus peuvent se produire. En voici quelques uns :

  • vous avez oublié d'accrocher le fil au moulinet et le temps de réagir, tout le reste de fil s'est déroulé et le poisson est parti avec (fil, bas de ligne, plombs, leurre, ça vous coûtera au bas mot quarante euro).

  • vous avez touché un gros poisson et le bas de ligne a cassé ; vous avez perdu au moins le leurre et les hameçons (disons vingt euro).

  • le poisson se défend, vous arrivez à l'amener jusqu'au bateau mais au dernier moment, d'une violente secousse, il réussit à se libérer ; vous êtes déçu et en plus vous constatez que l'hameçon est cassé ; si vous n'en avez pas de rechange, le leurre est inutilisable.

  • le soir tombe ou vous arrivez au port ou au mouillage, vous remontez la ligne et vous vous apercevez qu'il n'y a plus rien au bout (vingt euro).

  • vous avez sorti un beau poisson et réussi à le hisser dans le cockpit, avec bien du mal vous avez décroché l'hameçon de sa bouche et au moment ou vous soufflez enfin un bon coup en le regardant avec satisfaction, il se tend comme un ressort et saute à l'eau ; en plus il vous a bien semblé qu'il a souri en clignant de l’œil.

  • le moulinet cliquette, vous vous précipitez et commencez à remonter la ligne. Ça doit être gros parce que ça résiste. Vous y allez avec du doigté pour le fatiguer et ne pas casser le matériel. A cinq mètres du bateau, vous constatez que vous avez attrapé un paquet d'algues ou un sac en plastique.

  • machinalement vous jetez un coup d’œil sur la ligne ; ça éclabousse fort dans le sillage, cette fois, il y a quelque chose ! Vous remontez la ligne et le fil n'a pas son aspect habituel ; il s'entortille sur lui-même tellement fort qu'il s'emmêle inextricablement au fur et à mesure que vous le sortez de l'eau. Vous constatez que le leurre s'est accroché dans le fil et a tourné sur lui-même un milliard de fois au cours des deux dernières heures pendant votre sieste. Cinquante mètres de fil foutus.

  • pour améliorer vos chances vous avez posé une deuxième ligne ; c'est conseillé dans les bouquins ; les deux lignes se sont emmêlées l'une dans l'autre et vous ressortez un énorme paquet de fil ; rien d'irrémédiable mais ça va vous occuper un moment.

  • vous arrivez au mouillage ; après avoir fait deux fois le tour entre les bateaux et posé la pioche, vous vous apercevez que vous avez oublié de remonter la ligne ; elle fait le tour de toutes les chaînes d'ancre et vous êtes bon pour sortir le masque, le tuba et les palmes. Sinon c'est vingt euro.

Voici donc quelques uns des désagréments les plus courants auxquels sera inévitablement confronté le plaisancier qui a décidé de s'essayer à la pêche. Néanmoins il se peut aussi que Neptune soit bienveillant à son égard ou qu'il ait du talent. Dans ce cas la récompense sera à la hauteur de l'investissement. Ainsi depuis notre départ de Brava au Cap Vert, nous avons pêché trois thazards totalisant ainsi plus de vingt kilos d'un poisson à la chair absolument délicieuse. Nous avons aussi manqué une énorme coryphène qui a réussi à s'échapper en cassant un hameçon.

Cependant, pour le cas où l'on jouerait de malchance, il sera toujours prudent d'approvisionner avant la croisière quelques boîtes de maquereaux au vin blanc, de sardines et de thon à l'huile.

Toutefois, la médaille a son revers... Si la pêche est fructueuse, après huit jours de mer, vous aurez mangé du poisson à tous les repas. A la tahitienne, au court-bouillon, grillé, panné, froid à la mayonnaise, au curry, à la noix de coco, en rougail. Vous aurez mâchonné pendant des heures des lanières de poisson séché durant vos quarts. Et lorsque le cuistot émergera de sa cambuse en vous annonçant triomphalement qu'il a préparé une bonne soupe de poisson avec la tête et la queue pour ne rien gaspiller, vous n'aurez qu'une envie : le découper en rondelles comme un saucisson pour le faire taire et laisser libre cours aux instincts carnassiers de l'amateur de viande qui sommeille en vous...

 

Ce pêcheur expérimenté a attrapé un magnifique thazard

 

Propos précédent : Le passage de la Ligne

Propos suivant : Une bonne journée en croisière

 

 

 

 


04/04/2011


Une bonne journée en croisière

Vous avez pris le premier quart hier soir, jusqu'à vingt-trois heures. Après une bonne nuit de sommeil vous sautez de la couchette en pleine forme et enfilez un t-shirt propre. Une appétissante odeur flotte dans le carré. Pour lutter contre le sommeil, l'équipier de quart s'est lançé dans la confection d'une pile de crêpes qui s'accorde merveilleusement avec votre bonne humeur. Vous avez envie de l'embrasser, mais sa barbe de huit jours vous freine dans votre élan. La prochaine fois il faudra penser à recruter des équipières.

En sortant sur le pont, vous respirez profondément l'air marin et contemplez un flamboyant lever de soleil sur bâbord. L'air est d'une transparence lumineuse, le ciel pastel jaune et bleu pâle glisse progressivement vers le bleu marine à l'ouest. L'alizé souffle sa respiration régulière sur la mer immense. Le bateau glisse sans à-coup, voiles bien gonflées, sur les douces ondulations des longues vagues de l'océan. Chaque matin est un émerveillement ! A l'intérieur, le thé est prêt, un jus de goyave pour le plaisir du goût, et quelques crêpes arrosées de jus de citron frais saupoudrées de sucre. Quel régal !

Plein d'entrain, vous empoignez le seau qui contient la vaisselle d'hier soir et descendez dans la jupe arrière pour laver tout cela. Il faut reconnaître qu'avec ce beau temps, le soleil qui commence à monter au-dessus de l'horizon et la température de mois de mars sous les tropiques, vous avez connu des corvées moins agréables. En passant, un petit demi-tour de winch sur l'écoute de grand-voile pour la forme, le point sur le livre de bord, et vous pouvez maintenant vous consacrer à vos loisirs en toute tranquillité, pendant que le reste de l'équipage termine sa nuit.

Un peu de lecture pour commencer ; vous avez l'embarras du choix ; l'excellent bouquin que vous avez commencé hier, les journaux que vous n'avez jamais le temps de lire habituellement, une petite révision du guide des Glénans, l'un des récits d'aventures marines qui composent la bibliothèque de bord. De toute manière vous aurez bien le temps durant la traversée.

Au bout d'une demi-heure un mouvement du côté de la ligne de traîne attire votre attention. L'élastique est tendu, il y a du monde qui se bouscule là-bas. Effectivement, en commençant à remonter le fil, ça résiste et une gerbe d'écume apparaît à la surface dans le sillage du bateau. Vous remontez la ligne en douceur et une splendide coryphène d'un mètre de long émerge dans sa parure éclatante bleu turquoise et jaune. Une petite rasade de rhum dans les ouïes pour la plonger en douceur dans le coma et un moment plus tard, la bête est vidée, tranchée et les filets levés. Un seau d'eau pour nettoyer le pont, un autre pour vous rafraîchir et vous allez pouvoir déguster une bonne bière pendant que les équipiers qui se sont occupés des photos, terminent de préparer le repas de midi.

Une petite salade, des filets de poissons frais grillés, une poêlée de légumes à l'huile d'olives délicatement épicée, une salade de fruits exotiques. Une cuisine légère, simple et goûteuse, dégustée à l'ombre du roof, bercé par le bruit du vent dans les voiles et des vaguelettes contre l'étrave. Un café et une petite sieste pour être en forme pendant le quart de nuit.

L'après midi est déjà bien entamé mais il y a encore du travail : vous vous plongez dans les livres de cuisine pour varier la manière d'accommoder le produit de votre pêche. Vous optez pour la recette du poisson au lait de coco et poivrons. Et maintenant, aux fourneaux. Vous émincez, découpez, saisissez, mouillez, mijotez, épicez et rapidement vous suez autant que vos oignons. Qu'à cela ne tienne. Vous passez les consignes et plongez sans hésiter à l'arrière du bateau, accroché à la jupe. L'eau est à trente deux degrés. Juste la bonne température pour vous qui n'appréciez pas plus que ça l'eau fraîche de la Méditerranée. Une petite douche pour vous rincer et c'est déjà l'heure de l'apéritif.

Un peu de musique brésilienne sur la hi-fi du bateau, un verre de punch dans une main, quelques tapas à portée de l'autre. Ça fait du bien de se détendre un peu. Le plat de poisson arrive, juste à point. C'est un délice et tout l'équipage vous félicite. Le crumble aux pommes est également très réussi et tout le monde profite benoîtement du coucher de soleil qui embrase l'horizon. Les équipiers qui prennent les quarts de nuit vont se coucher et vous profitez tranquillement de la soirée sous les étoiles, sirotant un verre de cet excellent whisky écossais, en contemplant la Croix du Sud dont le nom vous fait rêver depuis toujours. Vous n'avez pas vu la journée passer.

C'est toujours compliqué d'expliquer aux terriens que sur un bateau on n'a pas le temps de s'ennuyer, que non, on ne mange pas que des rations lyophilisées, qu'on a suffisamment de place et qu'on ne se dispute pas avec les autres membres d'équipage.

Propos précédent : La pêche


22/04/2011