Zéro entre Bermudes et Açores - juin 2012
En mer, entre Bermudes et Açores, du dimanche 3 au mercredi 13 juin 2012.
Mercredi 6 juin 2012
Quatrième jour de cette traversée. Je prends le premier quart, du coucher du soleil jusqu'à minuit. Le vent semblant décidé à forcir, par précaution avant la nuit, nous avons pris un second ris dans la grand voile. Depuis trois jours que le vent s'est installé au sud-ouest, la mer agitée du départ s'est organisée et la houle s'est allongée, enflant régulièrement. Ce soir, ce ne sont pas encore des montagnes d'eau qui galopent à la surface, mais déjà de jolies collines qui ondulent et nous rattrapent. Régulièrement, l'arrière de Zéro se retrouve à courir devant un mur d'eau de quatre mètres de haut, qui miraculeusement au dernier moment choisit toujours de passer sous la coque plutôt que par dessus. C'est un peu normal dans la mesure où c'est un bateau et pas un sous-marin. Mais quand même, c'est inquiétant quand il en arrive une plus grosse que les autres... Le côté agréable de la chose c'est que la vague se transforme en toboggan et on ressent nettement la petite accélération du départ au surf.
La tendance s'est confirmée et même après avoir enroulé un peu de génois et sorti la trinquette, on avance à neuf nœuds, avec même une pointe à onze. C'est tout bon pour la moyenne mais sans doute un peu moins pour ceux qui essayent de dormir. D'expérience, à cette allure, ça vibre fort le long de la coque et avec les vagues qui nous prennent légèrement de côté, ça doit chahuter un peu sur les couchettes. Pas le genre de chahut que l'on préfère, mais personne ne se plaindra. Pour deux raisons.
D'abord, plus vite on arrivera, plus vite on ira boire une bonne bière fraîche chez Peter. En navigation, on économise l'énergie, donc on coupe le frigo. Donc la bière est chaude. En tout cas sous ces latitudes. Et pour aller vite, il faut être léger, donc pas de frigo américain à bord, pas de parc de batterie sur-dimensionné, voire pas de bière ! A la limite...
« Chez Peter », c'est Le bar des Açores, le lieu où tout voileux digne de ce nom est allé boire une bière. Façon de parler. Plusieurs bières. « Chez Peter » fait partie des lieux mythiques qui alimentent les conversations de ponton, comme Gibraltar, le Cap Horn, le port de Nantucket et Tibedeuff à Groix. Le plus dur, c'est quand même probablement le Horn. A juste titre, parce qu'au Horn, il n'y a pas de bar donc on ne s'arrête pas, et il faut amener sa bière. Par contre l'avantage c'est que là-bas elle est fraîche. Mais revenons à nos moutons.
La deuxième raison pour laquelle personne ne se plaindra, c'est que sans en avoir l'air, on est à fond dans la course. Nos amis de « Fredoya » retrouvés à Cuba sont eux aussi en route vers les Açores. Ainsi que la famille « Guma » qui a quitté Saint-Georges aux Bermudes en même temps que nous. Il est hors de question de ne pas faire le maximum pour arriver les premiers chez Peter. Pour le moment, tout va bien. Nous avons reçu à midi un mail de Fredoya par l'iridium. Ils sont scotchés au nord-est des Bermudes, dans un marais barométrique infâme à l'arrière des dépressions. On risque de les attendre un moment. Quant à « Guma », il a explosé son spi dans une rafale dès le deuxième jour et se retrouve loin derrière nous. On a pris une bonne option sur la victoire, mais il n'y a qu'un tiers de fait. A onze cents mille de « Chez Peter », rien n'est encore joué, mais nous sommes plus que satisfaits de notre stratégie de course. Nous sommes exactement placés dans un couloir entre l'anticyclone des Açores qui est un peu décalé vers le sud, ce qui doit générer un temps de chien (ou d’anglais) en France, et une ligne de fronts orientée vers le nord-est. On est dans un aspirateur depuis le départ, avec quinze à vingt-cinq nœuds du sud-ouest. Résultat : 566 miles en trois jours. Et les perspectives sont favorables pour les quatre prochains jours à l'exception d'un creux que nous espérons contourner en descendant un peu au sud. A suivre...
Certains croient que c'est des vacances...
Mardi 12 juin 2012
Aujourd'hui nous entamons notre dixième et dernier jour de traversée. Ces derniers jours nous avons galopé grâce à une météo quasi parfaite et une stratégie totalement maîtrisée. Ce qui n'est pas tellement compliqué quand la météo est parfaite, il faut bien le reconnaître... On devrait donc arriver demain, au petit matin. Contrairement à nos craintes, le vent a soufflé toute le nuit et nous avons rattrapé notre retard d'hier. Nous sommes revenus sur une base de deux cents nautiques par vingt quatre heures. La baisse de vent annoncée par les fichiers météo s'est fait attendre et nous en avons bien profité. J'ai passé un quart extraordinaire, avec un vent de travers idéal, un ciel étoilé, une mer juste assez ondulée pour sentir que j'étais bien sur un bateau, et Zéro qui filait ses neuf nœuds comme un cheval qui sent l'écurie. Un vrai bonheur ! Le vent a baissé progressivement en fin de nuit et en matinée, sans toutefois nous contraindre à mettre en route le moteur, ce qui aurait été dommage pour terminer une si belle traversée. Nous nous occupons à ranger le bateau, le nettoyer et nous rendre, nous aussi, présentables pour l'arrivée. Un excellent repas pour lequel nous tapons sans vergogne dans les réserves. Arrive l'apéro du soir et c'est à ce moment qu'une vedette à moteur équipée pour la pêche au gros se dirige droit sur nous en provenance de Faial, l'île des Açores vers laquelle nous faisons route. Elle vient se ranger à côté de nous, ce qui est peu banal, et le pilote nous demande en anglais si nous avons aperçu un canot rouge. Évidemment nous sommes immédiatement en difficulté. En espagnol ou en portugais on était au top mais en anglais... on est complètement à la rue. Dépité par nos dénégations bafouillantes, il repart aussitôt vers le large, non sans nous avoir cordialement remercié. Cette visite nous laisse bien pensifs et nous en concluons que ce canot est certainement à la dérive, mais vide, sinon nous aurions constaté beaucoup plus d'agitation dans les airs sur l'eau et sur les ondes. Nous envisageons les éventualités possibles, dont l'arrivée d'un rameur trans-océanique... L'explication viendra un moment plus tard. Intrigués par cette affaire nous surveillons un peu plus attentivement que d'ordinaire les alentours et Philippe ne tarde pas à repérer aux jumelles ce qui s'avérera être le fameux canot, flottant à la dérive. C'est effectivement un canot spécialement conçu pour une traversée à la rame, vide de son occupant et abondamment sponsorisé. Personne ne répondant à nos appels radio, nous décidons de le prendre en remorque. Quelques manœuvres nous permettent de mener à bien l'opération, sans trop d'acrobaties et sans trop se mouiller, en attrapant à la gaffe un bout probablement relié à une ancre semi-flottante traînant dans l'eau, qui nous a d'abord fait bien peur en passant tout près de notre hélice. Nous reprenons notre bonhomme de chemin et la réflexion continuant, nous finissons par comprendre ce qui a du se passer. Gabor Raconkzay, citoyen hongrois de son état, d'après les inscriptions figurant sur le canot, et qui n'est probablement autre que le chevelu barbu stressé en veste de quart rouge qui pilotait la vedette, a certainement été recueilli par un voilier qui a pris son canot en remorque. Usé par le frottement, le bout d'amarrage aura cassé durant la nuit ce qui explique à la fois le bout effiloché sans aucune ancre flottante et les pare-battages de protection installés à l'avant du canot. Ne s'en étant rendu compte que plus tard, il aura affrété une vedette pour essayer de retrouver son bien, en estimant la dérive causée par le vent en fonction de la trajectoire initiale. Nous imaginons déjà l'accueil triomphal qui va nous être réservé, les articles dithyrambiques dans la presse locale, sans compter les récompenses qui vont pleuvoir... Gabor et tous ses sponsors vont certainement nous ouvrir un compte illimité chez Peter et peut-être même nous offrir un nouveau spi !... C'était loupé pour faire la une des magazines de pêche mais on va se rattraper dans « Voiles et voiliers » ! Pas question de perdre le canot pendant la nuit et je rectifie la remorque afin de ne pas subir la même mésaventure que nos prédécesseurs. Le canot suit mais il a une fâcheuse tendance à partir sur le côté et à gîter exagérément. C'est d'ailleurs probablement la raison pour laquelle Gabor a du interrompre prématurément son épopée. Si près des Açores... cruel destin ! Il ne s'agirait pas que nous remplissions son canot jusqu'à le couler, sinon, adieu bières, spi, triomphes portuaire et médiatique.... Je passe donc mon quart à faire en sorte de ralentir Zéro, pour maintenir notre vitesse à quatre nœuds, malgré le vent malin qui forcit et s'ingénie à nous faire accélérer. Successivement, j'enroule le génois, je prends un ris, je dérègle le chariot de grand voile puis je borde l'écoute à fond alors que nous marchons au grand largue. Bref, tout ce qu'il ne faut pas faire en temps normal. Entre parenthèses, j'y arrive très facilement. No comment. C'est quand même un comble d'en arriver à ralentir volontairement à quelques heures du but, alors que nous étions en passe de réaliser un temps qui nous aurait valu la considération éternelle de toute la marine à voile... Mais il faut savoir se plier à la glorieuse tradition de solidarité qui unit les vrais marins... Nous allons donc terminer debout sur les freins et avec une bonne histoire de ponton en plus dans notre escarcelle, ce qui est finalement l'essentiel de l'affaire.
Canot rouge à la dérive...
Y a quelqu'un ?... Gabor ?....
Pas très stable, ce truc...
Vitesse max, 4,2 noeuds...
Cette fois, on arrive...
Horta, île de Faïal, mercredi 13 juin 2012
J’émerge de bonne heure, alors que nous approchons enfin de notre destination. Juste à temps pour voir passer la caldera derrière laquelle se cache le port d’Horta. Spectacle peu commun que ce cratère ouvert sur la mer qui offre aux regards une crique circulaire aux parois rocheuses à moitié envahies par la végétation. Un peu sinistre malgré tout. La faute aux nuages et à ces montagnes de lave noire. On la contourne, on longe la jetée derrière laquelle s’amarrent les gros navires et c’est l’entrée dans le port. Une zone de mouillage déjà occupée par plusieurs voiliers. Au fond la zone des pêcheurs et des vedettes inter-îles, et derrière un deuxième môle, une forêt de mats. Sous un ciel gris, les collines verdoyantes auxquelles est adossée la ville. Zéro se faufile entre les voiliers au mouillage pour faire le tour et choisir une place. Une drôle de sensation nous étreint. On est arrivés. On l’a fait, on a traversé un océan… On est chez nous, dans ce port où arrivent tous les bateaux de voyage, parmi nos frères de navigation. Tout à coup, c’est une grosse émotion !... Il est encore tôt, mais ceux qui sont déjà debout nous saluent, comme nous saluerons aussi tous les bateaux qui arriveront, tant que nous serons à Horta. Un geste simple mais tellement plein de complicité, de respect et de chaleur, qu’il va droit au cœur en ce moment inoubliable.
On mouille, on sort l’annexe du garage et on file à terre. Les formalités attendront. A neuf heures, nous sommes attablés chez Peter - Café Sports, sirotant les cafés et la bière tant attendue (pas d’heure pour les braves). Le lieu a du cachet, avec ses murs et ses plafonds entièrement tapissés de fanions, de photos et d’os de baleine sculptés. C’est chaleureux et l’on est sur d’y croiser à un moment ou un autre les dizaines d’équipages qui font escale à Horta. De nombreux marins vous diront que l’on y sert la meilleure bière du monde. Faut pas exagérer, mais c’est vrai que celle de ce matin a un goût tout particulier…
Zéro au mouillage - Horta, île de Faial
Peter Café Sport, 9 heures du matin
Sacrément bonne !...
Fin de l'article
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