Ohé matelot ! Quelques pérégrinations en voiliers

Ohé matelot !    Quelques pérégrinations en voiliers

Au Sénégal, du 19 février au 10 mars 2011


Alger samedi 19 février 2011 17h.


Ça y est, je suis parti. Pas encore arrivé à destination, c'est à dire sur Zéro, à Dakar, mais parti. Les derniers jours ont été bien remplis, entre les préparatifs et les repas d'adieu successifs. Je me suis constitué suffisamment de réserves pour traverser l'atlantique sans craindre la famine.

 

 

Dakar dimanche 20 février 2011


Premier réveil sur Zéro. Une courte nuit de sommeil et la page des transports aériens est tournée. Les péripéties qui ont émaillé la première partie de ce voyage sont déjà de l'histoire ancienne (voir les "propos d'avant") et un matin radieux s'est levé sur Dakar. Je suis en forme, bien décidé à profiter pleinement de chaque instant pendant ces deux mois de liberté absolue qui commencent. Je me sens déjà comme chez moi sur Zéro. Le ciel bleu, le soleil, une douceur de l'air. C'est comme l'été qui commence dans la maison de campagne de notre enfance. L'ambiance est vraiment très détendue. Pendant que je déguste un bon petit déjeuner, Philippe se fait un malin plaisir de me présenter quelques uns des bateaux qui nous entourent. "Tu vois, cet Ovni ? c'est celui de l'ancien président du Club. Il a été assassiné sur son bateau. Ce bateau blanc, là-bas, est saisi par les douanes. Son propriétaire est en prison pour trafic de drogue. Quant à ce ketch, il appartient à un couple d'écossais âgés qui naviguaient depuis des années. Le bateau est à vendre. Ses occupants sont tombés malades en remontant du sud. Le mari est arrivé agonisant et la femme était morte deux jours avant. Il paraît que l'intérieur était couvert d'excréments, ils se sont littéralement vidés... Sale histoire..."

 

Très drôle ! Bon... C'est toujours agréable de prendre connaissance des derniers potins du mouillage ! Mais, faudrait pas se laisser abattre. On va aller à terre et commencer par visiter les environs...

Nous prenons le bateau taxi du CVD (jaune comme tout bon taxi qui se respecte) qui assure des rotations à heures régulières entre les bateaux au mouillage et le ponton. Et je visite le Centre de Voile de Dakar, que j'ai traversé furtivement en arrivant hier soir dans l'obscurité.

 

Dakar - Le CVD et le taxi, vus du mouillage 

 

Visite du Centre de Voile de Dakar.

 

Dakar - Bienvenue au CVD

 

Dakar - La terrasse du CVD

 

Dakar - Le Club House du CVD

  

Dakar - La cuisine du CVD

  

Dakar - Les douches du CVD

  

Dakar - La laverie du CVD

  

Le CVD n'est surement pas le paradis, mais quand on débarque, ça y ressemble fichtrement ! Il faut essayer d'imaginer la douceur de l'air, les taches de soleil qui tombent entre les feuilles des palmiers, le sol sableux qui caresse les pieds, le parfum des fleurs, le chant des oiseaux, la fraîcheur du club house, le bonjour de la barmaid.... Bon j'arrête !

Taxi jusqu'au centre ville ; balade à pied ; visite d'une fabrique de tissus, et du marché aux poissons et aux fruits. Déjeuner d'un plat local dans un restaurant en étage ; simple, propre et bon. Ballade à pied en ville et retour en taxi au CVD. Dîner d'un sandwich dans une des échoppes dans la ruelle d'en face. Philippe en a déjà mangé un la veille, donc comme il a survécu, j'ai pris la même chose que lui. Grâce à l'obscurité je ne sais pas ce que j'ai avalé mais j'espère que c'était bien cuit. J'ai bien dormi, malgré quelques moustiques.

 

Dakar - Une circulation animée

 

 

 

Dakar lundi 21 février 2011


Beau temps, les alizés soufflent et rendent la température très supportable. Ballade au marché aux poissons sur la plage. Retour par la route et visite du Cercle de l'Etrier, chic centre équestre de Dakar. J'en profite pour constituer un petit reportage photo spécial pour Marion (qui aime un peu les chevaux). Ca va lui donnera peut-être envie de voyager avec son père. Aujourd'hui, c'est aussi une journée bricolage : installation de l'échappement du groupe électrogène et nettoyage-graissage des winchs. Déjeuner chez Aïda, la cabane en face du CVD avec Jérôme le Chamoniard, un nouvel ami qui a lui aussi un bateau ; seiches, riz et frites, délicieux.

 

Dakar - Restaurant Chez Aïda

 

Spécialité de seiches

 

 

L'après-midi est consacré à la création du blog. Balade à pied pour trouver les supermarchés en prévision de l'avitaillement nécessaire à la traversée ; échec total, nous nous perdons dans un labyrinthe de bidonville, de voies ferrées et de zone industrielle ; une deuxième tentative en taxi est semi réussie ; nous visitons un premier magasin, une sorte de supérette Casino de banlieue qui propose toute la gamme des produits "comme chez nous" à des tarifs scandaleusement prohibitifs : le pauvre Philippe, skipper en manque,  renonce à s'offrir une tablette de chocolat mais craque sur une boîte de Vache qui rit. Nous sommes arrivés trop tard au deuxième magasin qui était fermé. Nous reviendrons car les prix y sont probablement plus abordables. Le temps de retourner au CVD, toujours en taxi, la boîte de Vache qui rit est liquidée. J'ai réussi à en manger une. On a intérêt à constituer un stock pour la traversée, sinon je crains pour la survie du skipper...

Le soir, on se venge en allant dîner à la cabane à pizza locale ; la pizza du bolong, dont nous aurons l'occasion de reparler...

 

Pour les cavalières, voici un petit aperçu du Centre équestre situé à proximité du CVD.

 

 Dakar - Visite du Cercle de l'Etrier

 

La carrière principale

 

 

 Les boxes (enfin, quelques uns...)

 

 

Remarquez les ventilateurs !

 

Le musée

 

La carrière d'entraînement

 

Sous les eucalyptus

 

Sous un autre angle

 

Quelques barres

 

L'entrée des artistes

 

Couleurs

 

La maison du gardien

 

Dakar - Promenade sur la plage de Hann

 

Alors, ça fait pas envie ?

 

 

 

Dakar mardi 22 février 2011


Beau temps, mais pétole. Les alizés ont disparu. Bizarre, mais pas désagréable d'avoir un peu de calme. Mais il va sûrement faire chaud. Préparation des vélos, visite chez les voisins (Feeling 10,90). Douche et départ pour Dakar. Excellent déjeuner dans une cabane en ville. Poursuite de la balade jusqu'au nord de Dakar et retour. Re-douche. Dîner au CVD avec l'équipage du Feeling 10,90 qui va partir avant l'aube pour le Sine Saloum où nous les croiserons peut-être. J'ai des coups de soleil, pire que soif et on est crevés !

 

Ambiance matinale

 

PS : Aujourd'hui c'est l'anniversaire de Nathalie ; bon anniversaire cousine !


 

 

Dakar mercredi 23 février 2011


Lever à l'aube, c'est à dire vers 7 heures. Nouvelle journée sans vent. Nous en profitons pour affaler le génois et faire réparer une couture par Diego le maître voilier du CVD. Déjeuner chez Aïda, la cabane d'en face, le même plat qu'avant-hier, avec des crevettes à la place des seiches ; tout aussi délicieux !

 

Lottes

 

Daurade...

 

Après-midi chaud ; activité internet. Ce blog m'occupe ! En fin d'après midi nous reprenons les vélos pour prospecter en vue de l'avitaillement. Nous trouvons notre bonheur chez des grossistes qui sont toujours prêts à vendre, même pour nos besoins, somme toute modiques. Ensuite nous allons retirer de l'argent local au distributeur le plus proche. Je tire deux cents mille (francs CFA) et la liasse de billets est si épaisse que j'ai l'impression d'être milliardaire ! Chouette la croisière ! Dîner au restaurant. Un vrai, pour touristes, dans un patio avec des plantes, des fleurs et des lumières tamisées. Le Citron Vert. Très bon, très chic et très cher. Je règle la note, pas moins de treize mille francs. Avec match de foot Marseille Manchester sur écran géant, du coup c'était très exotique, on se serait presque cru à la maison.

 


Dakar jeudi 24 février 2011


Rangement du bateau et nettoyage en vue de l'arrivée à bord de nos partenaires médicaux de Voiles Sans Frontières. Exfiltration du colis de l'aéroport et inventaire. On s 'en sort bien même si les fromages de chèvre ont souffert de la chaleur. J'ai même retrouvé la Biafine et mon couteau ! La vie est belle. Prise de contact avec l'équipe médicale et nous déjeunons ensemble.

 

Dakar CVD - Arrivée de l'équipe médicale et du 2ème carton

 

J'enchaîne avec la spécialité d'Aïda à la lotte. C'est fameux. Je profite de l'après midi pour aller prendre quelques photos pour illustrer le blog. Nous démontons et rangeons les vélos à bord car le départ vers le Sine Saloum est prévu pour demain soir. Ils retrouvent leur place dans la soute. Ce soir nous dînons avec l'équipe au CVD, barbecue sur la terrasse, poissons grillés et légumes cuisinés par Mame Mor, le correspondant local de VSF, qui nous accompagnera durant toute la mission. Il aime cuisiner et il le fait très bien. Nous discutons longuement de la mission à venir, de la situation dans les villages et du fonctionnement des organisations humanitaires. J'ai bien compris que la semaine qui vient sera probablement fatigante, certainement surprenante par ce que nous allons découvrir, mais certainement pas amaigrissante.

 

Dakar - CVD - Derrière la boutique du ship

 

 

 

 

Dakar vendredi 25 février 2011


Bonne nouvelle, nous sommes maintenant en sécurité, car nous avons à bord une infirmière, un médecin, deux dentistes, une assistante dentaire et même une sage-femme ! Notre vie de couple avec Philippe en est un peu bouleversée et il nous faut nous ré-habituer à vivre en société. Ce petit monde est bien sympathique donc ça devrait bien se passer ! La journée est consacrée aux préparatifs de départ vers le delta du Sine Saloum, une région très pauvre et isolée au sud de Dakar. Compte tenu de ce que j'ai déjà vu ici et de ce que Philippe m'a raconté car il y est allé il y a une quinzaine de jours avec l'équipage précédent, ça risque d'être surprenant. Nous nous mettrons en route avec le bateau ce soir, après dîner pour arriver sur place demain matin. Toute la journée, nous faisons des navettes pour transporter l'avitaillement à bord de Zéro. Transport en brouette jusqu'à l'extrémité du ponton, transbordement dans l'annexe, puis sur le bateau et rangement dans les soutes. Il faut tout prévoir car la région du Sine Saloum est très pauvre et nous ne pourrons sans doute rien acheter sur place. Il fait chaud, la brouette s'enlise dans le sable mou de la plage, les bidons d'eau sont lourds et le reste aussi. Nous sommes satisfaits car aucun chargement n'a basculé dans l'eau de la baie de Hann qui n'est pas réputée pour sa salubrité... Une réunion de préparation de la mission avec l'ensemble de l'équipe nous a permis de prendre connaissance des objectifs de l'association Voiles Sans Frontières, de l'organisation de la semaine, et du rôle de chacun.

Il nous reste à prendre une dernière douche et un dernier repas ici avant de lever l'ancre. J'en profite également pour compléter ma garde-robe en achetant au maître tailleur local un pantalon aux couleurs bariolées, qui me vaut des compliments toute la soirée. Une petite brise souffle depuis ce matin qui devrait nous permettre une navigation à la voile paisible cette nuit.

 

PS : Dans le Saloum, il n'y a pas de cybercafé, donc il va falloir patienter jusqu'à notre retour pour la suite ; probablement le 6 mars.

A bientôt !

 

L'annexe de Zéro, habillée par le maître-voilier Diego

 

 

Le ponton du CVD

 

 

La plage de Hann

 

PS : Cette journée est spécialement dédiée à Fred et Lazhar, mes collègues stéphanois, fervents supporters de l'AS St Etienne. Je ne résiste pas à la tentation de partager avec eux ce petit coup de déclencheur !...

 

 Les verts, même à Dakar !

 

 

 

 

Dionewar (Saloum) samedi 26 février 2011

 

Appareillage comme prévu, c'est à dire une heure après l'heure planifiée ; mystère des fuseaux horaires : l'heure sénégalaise présente systématiquement un inexplicable décalage. Nous remontons l'ancre, agrémentée de quelques kilos de « salade » gluante en provenance du fond de la baie. Après un slalom entre quelques dizaines de cargos au mouillage devant Dakar, heureusement bien éclairés, nous prenons notre cap au sud-est en direction de l'entrée de la passe qui donne accès au Siné Saloum. Compte tenu de la brise modérée, nous envoyons le spi asymétrique et je prends le premier quart avec Natacha, notre médecin. Douce nuit sans lune ; l'étoile polaire est bas sur l'horizon ; quel plaisir de s'éloigner du vacarme de la ville et de retrouver le chuchotement de l'eau qui glisse le long des flancs de Zéro.

Le temps coule doucement et soudain, une saute de vent, Zéro accélère et nous passons du grand au petit largue, à la gîte, pas l'idéal avec le spi. J'abats et nous revenons doucement à plat puis reprenons notre allure initiale. Pas pour longtemps, ça recommence, et cette fois, ça ne veut pas revenir ; pas rassurant ; le spi n'apprécie pas et Philippe non plus qui a été réveillé avant l'heure. Il émerge de sa couchette et m'envoie illico à l'avant pour l'affaler. J'ai besoin d'aide et nous bagarrons un moment avant de parvenir à lui faire réintégrer son sac (le spi, pas Philippe). Lorsque je regagne le cockpit, je constate, mi-rassuré, mi-déçu que le bruit de déchirure que j'ai nettement entendu en brassant le spi qui battait au vent, ne provenait pas de la voile, mais de la couture principale de mon pantalon sénégalais qui a lâché sur une trentaine de centimètres au plus mauvais endroit... Le deuxième quart prend notre place et nous allons dormir. Au petit matin, nous sommes dans la passe du Siné Saloum, au milieu des bancs de sable, et Mame Mor me montre son village, dont le minaret émerge largement au-dessus des arbres, derrière la plage. Bien sûr, il fait beau, comme tous les jours. Nous suivons sagement le chenal et ne tardons pas à apercevoir le mât du trimaran Yobalema, l'autre bateau qui participera à la mission, au mouillage de Dionewar et Le Soli, le plan Lucas de Jérôme que nos vociférations font monter sur le pont. Tout le monde est heureux de se retrouver.

 

Hôtel Deltaniominka 

 

L'équipe médicale s'attaque à ses préparatifs, inventaire du stock de médicaments, récupération de matériel à Mar Lodj* avec le trimaran. Pendant ce temps, je sors la boîte à couture, puis après que je me sois laborieusement acquitté de cette tâche indispensable, Philippe et moi lavons et rangeons le bateau et entreprenons d'aller nettoyer l'hélice, qui est effectivement recouverte de petits coquillages, certainement à l'origine du bruit et des vibrations ressenties au moteur. Un coup de grattoir devrait être salutaire. Même sous les tropiques, on supporte une petite combinaison. L'eau est plutôt trouble à cause des courants dus au fleuve et aux marées. Quelques apnées me permettent d'en venir à bout, sous l’œil intéressé d'un petit monodactylus bien plus à l'aise que moi dans le courant. Je repense à ma conversation de ce matin avec Mame Mor qui m'expliquait les subtilités de la pêche au baraccuda et je me dépêche de finir.

 

*http://www.senegalaisement.com/NOREF/cartesaloum.html


 

 Zéro au mouillage sur le Saloum

 

Satisfaits du devoir accompli, un petit saut de puce en annexe nous mène jusqu'à la plage et nous usons sans vergogne de la piscine de l'hôtel devant lequel nous avons mouillé, après nous être acquittés d'une consommation au bar, à un tarif toubab** dont nous avions perdu l'habitude. Cela nous permet de bénéficier de la connexion internet et accessoirement par l'entremise de Jérôme de disposer d'une chambre avec télévision ; c'est la télé qui nous intéresse, car aujourd'hui, il y a match de rugby Angleterre-France, tournoi des six Nations. Malheureusement tous nos efforts pour régler le poste échouent lamentablement. Manifestement, la diffusion n'est pas assurée au Sénégal, sans doute pour une histoire d'achat des droits de transmission et nous devrons nous contenter d'écouter les commentaires à la radio... Malgré la défaite nous profitons de la soirée sur le bateau : l'apéritif au soleil couchant est un moment de rare bonheur sur fond de musique brésilienne. Luxe, calme et volupté.

 

**toubab : touriste blanc en langage walof***

***walof : langue officielle du Sénégal totalement incompréhensible pour un toubab**


 

 Baobab au bord du Saloum

 

 

 


Siwo (Saloum) dimanche 27 février 2011

 

Comme tous les matins, la lueur du jour me réveille, le ciel est un peu blafard et donne une impression de jour blanc. Mais dès que le soleil monte au dessus de l'horizon, le ciel vire au bleu. Il va faire beau. C'est bien, il fait beau tous les jours, ici. Le rythme est installé : vaisselle du dîner de la veille, à l'eau de mer, maintenant que nous sommes dans une zone ou elle est propre, puis petit déjeuner.

 

Equipe médicale sur Zéro...

 

Notre voisin Jérôme arrive sur son annexe et nous invite à venir partager le sien sur son bateau. Qu'à cela ne tienne, cela ne se refuse pas, nous en prendrons un deuxième. Il faut dire qu'il nous fait miroiter des tartines de pain frais. Nous ne sommes pas déçus car elles sont agrémentées de bon beurre, des confitures de sa maman et accompagnées d'un vrai bon café. En plus il nous régale d'histoires car c'est un conteur né, et nous fait visiter son bateau. Son nom, « Le Soli », à lui seul est tout un programme ; croisement du « solitaire » et de mots issus du piémontais et du savoyard qui signifient petite maison (je simplifie...). Le bateau est à l'image de son propriétaire : accueillant, chaleureux et riche de mille détails et anecdotes. Après cet agréable moment, nous allons à terre profiter du réseau wifi de l'hôtel, mais malheureusement la liaison tombe juste au moment où j'allais cliquer sur le bouton de publication de mon compte rendu sur le blog... Le maître d'hôtel m'explique que c'est fréquent lorsque le vent souffle un peu fort. Je le crois sur parole. Justement, il n'est jamais prudent de laisser un bateau seul au mouillage dans ces conditions et nous préférons retourner à bord. Mais le mouillage tient bien. Bientôt nous recevons un appel radio de Yobalema qui arrive avec le matériel, et que nous voyons traverser la baie vers le Sud pour contourner les bancs de sable, avant de revenir vers nous cap au Nord. Bientôt l'équipe est reconstituée et nous levons l'ancre en flottille pour remonter le cours du fleuve. Le trimaran en tête, qui a un tirant d'eau plus faible que Zéro, et barré par Mame Mor qui connaît le Saloum mieux que sa poche. Il y a peu d'eau, à mi-marée, un vent assez fort et de nombreux bancs de sable entre lesquels il nous faut slalomer.

 

Yobalema entre Dionewar et Siwo

 

On navigue par un à quatre mètres de fond, le long des mangroves. L'eau est trouble, très chargée d'alluvions et on ne distingue pas le fond. Juste des zones plus claires qui signalent les hauts fonds. De temps en temps nous longeons des sols plus fermes, plantés de buissons et de baobabs. C'est un spectacle magnifique. J'envisage sérieusement d'en ramener un petit, pour le planter dans mon jardin. Dans trois cents ans, ça aura une certaine allure.

Après de nombreuses sinuosités, nous dépassons un premier village, Diogane. Les enfants sont massés sur le ponton et nous font de grands saluts auxquels nous répondons démonstrativement.

 

Diogane

 

Encore un bout de chemin et nous arrivons à Siwo, le village de huit cents habitants dans lequel nous passerons quatre jours. L’honnêteté m'oblige à avouer que chacun des deux bateaux se sera échoué une fois durant ce périple, mais nous nous en sommes sortis sans trop de difficulté car le fond est exempt de tout caillou. On n'est pas en Bretagne. Pas de bouées de chenal, mais ici, tous les pilotes de pirogues savent bien qu'il faut serrer la mangrove après le troisième baobab. Nous mouillons l'ancre et amarrons les deux bateaux à couple. Nous chargeons les annexes avec tout le matériel et rejoignons le village. Je débarque le premier, avec Mame Mor. C'est plus compliqué qu'à Dakar parce qu'ici peu de gens parlent français et je ne comprends pas un traître mot de leur dialecte... Il y a beaucoup d'enfants, quelques adultes arrivent avec deux carrioles tirées par de petits ânes qui nous permettent de transporter le matériel à la case de santé située à la périphérie du village, juste en face de l'école. Comme nous longeons le village pour y parvenir, nous avons juste un aperçu de quelques maisons. Elles sont très sommaires, construites en parpaings probablement fabriqués sur place avec un mélange de terre et de ciment et des toits de tôle. Il y a aussi des huttes rondes traditionnelles, avec le toit végétal pointu. Je ne sais pas si ce sont des habitations où si elles ont une autre destination.

 

 

 Séchoir à poissons écolo (solaire)


Il y a également des sortes de poulaillers grillagés avec des restes de feu à l'intérieur ainsi que de grandes claies sur pilotis qui servent à faire sécher au soleil une multitude de poissons. Tout cela est très rustique mais assez propre. On ne voit pas traîner d'ordures ou de déchets. La case de santé est constitué de trois pièces très dépouillées qui servent essentiellement de maternité, propres, sommairement meublées d'un bureau et de lits métalliques. Il y a également un coin sanitaire : douche, lavabo, wc, mais sans eau courante... L'équipe se répartit les pièces et nous y installons le matériel. La dentiste est sacrément équipée, car elle doit tout transporter : fauteuil pliant, groupe électrogène, batteries, combiné fraiseuge-meuleuse-rainureuse, plateaux, instruments, cocotte minute stérilisatrice, réchaud, produits.... Ceci dit, on reste dans le rustique et le cabinet de campagne est au cabinet dentaire de chez nous, ce que la chignole à main est au perforateur à plasma piloté par ordinateur. Nous vérifions tout ce fourbi qui a néanmoins le mérite de fonctionner.

 

Siwo - La case de santé

 

Nous sommes rapidement rejoints par les notables du village : le chef de village, le responsable de la santé, la matrone, le président de l'association des parents d'élèves, un instituteur, la responsable de la case de santé. Malheureusement il manque l'imam qui est une personne très importante et j'espère que son absence ne constitue pas un mauvais présage pour la réussite de notre entreprise. Tout le monde s'assoit pour une causerie de présentation afin d'organiser l'intervention de l'équipe en plein accord avec le village. Il s'agit d'être à l'écoute afin de répondre à leurs attentes et de respecter leur propre organisation afin d'être bien reçus et de les aider au mieux. Il faut réussir à voir toutes les catégories de population et pour cela se servir des personnes influentes qui pourront relayer nos messages. Nous devons planifier les séances de dépistage et de prévention dans les classes, auprès des femmes, des hommes qui partent pêcher, prévoir des interprètes, etc... Tous ont l'air contents de notre présence, la réunion se passe très bien, et se termine par des applaudissements mutuels qui me semblent sincères et respectueux. Nous regagnons les bateaux pour le dîner à la nuit tombée. En revenant vers le ponton, je remarque de nombreux panneaux solaires installés sur des poteaux, mais un seul fonctionne, à proximité du ponton. Sont-ils en panne ? Il faudra se renseigner.

 

Siwo cases peules

 

Dans la soirée, nous entendons comme à Dakar le muezzin qui appelle les fidèles à la prière, et nous reconnaissons nettement l'information diffusée par ce canal à la population : demain matin à partir de 9 heures à la case de santé. On croirait entendre passer la camionnette du cirque Zampano annonçant les heures des représentations, mais c'est bon signe.

Mame Mor nous régale d'une carpe rouge en papillote aux petits légumes épicés qui nécessite un certain temps de préparation, mais cela nous permet de goûter un bain dans le Saloum, un rinçage à l'eau douce à la douche de pont sur la jupe arrière de Zéro, et quelques verres de planteur bien mérités. Demain je pressens que la journée sera rude, mais pour l'instant, carpe diem !

 

Un couple bien romantique....

 

 


Siwo (Siné Saloum) lundi 28 février 2011

Lundi matin fini les vacances, aujourd'hui, nous partons au boulot, heili, heilo !... Lever sept heures, petit déjeuner et transport en commun pour rejoindre notre lieu de travail ; mais relativisons : il fait beau, comme d'habitude, nous montons dans l'annexe pour trois minutes de traversée du Saloum, puis cinq minutes de marche à pied jusqu'à la case de santé. Mise en route du groupe électrogène, installation des bidons d'eau, un seau pour cracher, j’apprends à préparer un plateau de dentiste et c'est parti. Pour l'instant je resterai cantonné aux tâches administratives.

 

Siwo - Le cabinet dentaire

 

Il faut enregistrer l'identité des patients et leur âge, c'est utile pour le rapport de fin de mission, collecter les tickets car ils paient d'avance leur consultation. Le prix est symbolique, cinq cents francs CFA, soit moins d'un euro, mais c'est un principe de respect et de dignité. Tout l'argent collecté est ensuite reversé aux autorités du village pour qu'elles en fassent le meilleur usage. Notre premier client est un guinéen qui doit travailler en saisonnier aux fumeries de poisson. Il a mal aux dents. Pas de dégâts mais les gencives sont enflammées, il a besoin d'un petit détartrage. Compte tenu de l'étendue du chantier, on ne met pas en batterie l'appareil à ultrasons. Laurence travaille à la truelle et lui retire un bon kilo de tartre. Ça saigne un peu mais rien de terrible. J'observe et je m'efforce de mémoriser car demain, Stéphanie, l'assistante en titre, partira en mission itinérante et j'assurerai l'intérim. Le deuxième est plus atteint ; il arrive avec un foulard qui lui enveloppe la joue droite et un énorme abcès qui l'empêche d'ouvrir la bouche. On dirait le chien Briffault de Benjamin Rabier avec son mouchoir noué autour de la tête. En moins drôle. Antibiotiques et rendez-vous jeudi matin, vite fait bien fait. Au troisième, les choses sérieuses commencent ; une jolie carie à nettoyer, un IRM (fond de cavité) et un bon amalgame par là-dessus, tout cela sous anesthésie locale. Ma formation avance bien ! Comme il n'y a plus de patients pour le moment, nous interrompons notre travail de soins pour entamer le second volet de la mission : la prévention et le dépistage dans les écoles.

 

Siwo - Le portail de l'école et la cour de récréation

 

J'assiste à une séance de sensibilisation dans une classe de petits de cinq à six ans. Le message est simple : on leur explique le rôle du dentiste, qu'ils doivent prendre soin de leurs dents, les nettoyer, et enfin le processus de la carie, favorisé par l'excès de sucre. L'objectif est aussi de faire en sorte que l'instituteur s'approprie les messages et leur répète régulièrement. Ici, les brosses à dents sont rares donc on apprend aux enfants à nettoyer leurs dents à l'aide d'un petit bâton en bois d’acacia : le sotiou, avec lequel il doivent frotter tous les interstices des dents pour éliminer le tartre.

 

Siwo - Classe de CE1

 

Une autre équipe, constituée de l'assistante et de Philippe*, le propriétaire de Yobalema, coordinateur de la mission, et lui-même dentiste de profession, nous relaie dans une autre classe, et nous retournons au cabinet car un patient nous attend.

 


(*)  « Philippe » n'est pas un terme de marine permettant d'identifier le seul maître à bord d'un voilier (après Dieu, Allah, ou tout ce que vous voudrez), comme par exemple « capitaine » , « amiral » ou encore « biloute », dans la marine du ch'Nord. C'est bien un prénom et il se trouve que les deux skippers se prénomment Philippe. Ce qui ne nous simplifie pas la tâche. Nous les appellerons donc désormais Philippe de Y (pour Yobalema) et Philippe de Z (pour Zéro). Il serait également hâtif de conclure que tous les skippers se prénomment Philippe.


 

 

C'est le plus âgé de la journée, il a cinquante six ans, on lui en donnerait soixante dix et il a une bouche de centenaire : il lui reste quelques dents, par ci, par là, dont une qui le fait souffrir. Il demande qu'on la lui enlève. C'est toujours au patient de décider pour une extraction. Laurence attrape délicatement sa dent entre deux doigts et c'est fait !... Décidément la dentisterie est un métier tranquille ! Nous accueillons maintenant une jeune femme de trente six ans qui arrive avec son bébé sur le dos. Il faut bien sur l'enlever pour qu'elle puisse s'asseoir sur le fauteuil et il se met aussitôt à pleurer. Évidemment elle me prend pour le dentiste et me montre où elle a mal. Je l'installe fièrement sur le fauteuil pliant et je déroule ma check-list : ticket, inscription sur la fiche de soins, plateau, gants, gobelet, seau, lampe. Je commence à me décontracter, c'est quand même pas si compliqué. Nous confions le bébé à une autre femme qui l’emmène à l'extérieur pour ne pas ajouter l'anxiété des pleurs de son enfant à la peur du dentiste que la mère éprouve peut-être. Nous allons vite comprendre qu'en fait, elle a certainement trop mal pour avoir peur ! Laurence commence à l'examiner et lâche en grognant un vrai juron de marin pêcheur. Elle me fait regarder sa bouche et je constate que toutes les dents sont atteintes. Celles de devant sont abîmées, mais celles du fond ne sont plus que des moignons, ravagés par les caries. Il n'y a malheureusement plus rien d'autre à faire que de les enlever pour limiter les infections. Nous procéderons à huit extractions ! A chaque fois nous lui demandons son avis grâce à l'interprète, car elle ne parle pas du tout français, et elle demande qu'on lui enlève. La pauvre a du souffrir le martyr. Je lui tiens la main pour la réconforter. Elle ne se plaint pas une fois, juste une crispation quand on pique pour l'anesthésier. Nous lui prescrivons quelques comprimés antalgiques et elle disparaît après avoir récupéré son bébé. C'est une femme Peule, une ethnie très pauvre qui (sur)vit encore de l'élevage de quelques bêtes, suivant leurs coutumes ancestrales. J'apprendrai plus tard que c'est une famille Peule qui habite les huttes traditionnelles en bordure du village. Stéphanie, l'assistante dentaire ré-apparaît sur ces entre-faits et me considère avec une drôle de tête en apprenant ce qui vient de se passer. Elle me demande si j'ai besoin d'aller prendre un peu l'air. Je décline la proposition et elle m'explique les consignes de nettoyage concernant le plateau d'extraction, les compresses pleines de sang, les morceaux de dents et les instruments souillés. Je n'ai pas le droit de toucher aux aiguilles. Nous terminons la matinée là-dessus et avant de manger, je repense à mes pauvres rages de dents. J'imagine les souffrances que ces gens doivent endurer, sans espoir de soulagement car en temps normal, ils n'ont pas moyen de se soigner ; le coût du transport en pirogue jusqu'au dentiste le plus proche se situant bien au-delà de leurs possibilités. Avec cette séance, j'ai gagné mes galons et me voici promu au rang d'assistant dentaire. C'est ainsi que la plupart des maréchaux de l'empire ont été distingués sur le champ de bataille.

Nous avons bien mérité un excellent repas de midi, consommé à la mode locale, c'est à dire assis par terre sur des nattes, qui nous est servi dans de grands plats ou chacun pioche à sa convenance. C'est un yassa de poisson, accompagné de riz et légumes, comme d'habitude, préparé par une femme du village, et toujours aussi délicieux.

L'après midi est consacré aux visites de dépistage dans les classes. Cela consiste à examiner rapidement la bouche de tous les élèves. Ceux qui en ont besoin de soins sont convoqués le lendemain à la case de santé. Nous trouvons quelques caries et pour un certain nombre d'enfants, des dents de lait à extraire. L'eau du village est particulièrement riche en fluor, ce qui permet aux enfants d'avoir de bonnes dents en général, mais les dents de lait dégénèrent parfois difficilement et ont du mal à tomber. Cela provoque l'apparition de « bouches de requin » avec des dents en double ! Cette intervention nous permet de visiter les classes qui sont vraiment réduites à leur plus simple expression : quelques pupitres plus que vétustes et des bancs ; les murs sont nus à part quelques feuilles manuscrites scotchées de ci de là et un tableau noir peint sur le mur. Les portes et fenêtres restent ouvertes en permanence pour ventiler et évacuer la chaleur. Les élèves sont très disciplinés et nous accueillent systématiquement avec un chant de bienvenue ; les instituteurs font les interprètes, sauf dans les classes de grands qui comprennent assez bien le français. Les enfants sont assez intimidés, et certains n'osent pas ouvrir la bouche.

 

Siwo - Dépistage en CE1

 

Nous visitons également les trois classes de l'école coranique qui est pire que tout ; les enfants sont entassés sur des bancs, sans tables, même la maîtresse n'a pas de bureau ; il y a juste le tableau peint en noir. Deux instituteurs, un homme et une femme se partagent les trois classes qui regroupent soixante dix élèves dans des pièces minuscules et obscures ; la lumière n'entre que par la porte ouverte et une fenêtre. Il n'y a aucun matériel, mais vraiment aucun : ni crayons, ni papiers, ni livres, ni jeux... Ah si ! L'institutrice (?) tient à la main une petite baguette, prolongée par une lanière avec des  noeuds. Un fouet... Pourtant l'école coranique est privée, donc payante, et les élèves y sont beaucoup plus en retard qu'à l'autre école. Les enfants ne connaissent pas leur âge car on ne fête pas les anniversaires, mais d'après leur dentition et leur développement physique général, il est clair que certains enfants de grande section, l'équivalent de nos cours moyens en primaire, ont entre seize et dix-huit ans. Je nettoie au fur et à mesure les instruments utilisés par Laurence et je relève les noms des élèves convoqués avec l'inventaire des soins auxquels il nous faudra procéder. Philippe de Z le skipper reporter nous suit et prend des photos.

 

Siwo - Près du ponton

 

Nous quittons le village en fin de journée pour regagner les bateaux et nous sommes impatients de nous baigner, pour nous rafraîchir, et de nous restaurer. En chemin, j'ai le sentiment d'avoir versé une petite goutte d'eau au milieu d'un continent de misère, mais une petite goutte vraiment utile. Je crois comprendre pourquoi certains consacrent leur vie à essayer de réparer l'injustice dont sont victimes ces enfants, par le simple fait d'être nés ici. C'est inimaginable, il faut le voir pour comprendre.

Ce soir j'ai appris que Yobalema, le nom du trimaran de Philippe de Y, signifie « Emmène-moi » en walof. C'est Nango le chauffeur de taxi qui l'a proposé. C'est un beau nom de voilier.

 

PS : Aujourd'hui c'est l'anniversaire d'Alice. Happy birthday Alice !

 

 

 

Siwo (Siné Saloum) mardi 1er mars 2011

 

Lever à l'aube. J'apprécie ce moment de solitude paisible. Deux pirogues passent et Philippe de Z, le skipper dormeur émerge en grognant que c'est pas une vie de vivre en bordure du périphérique. Il fait beau. Le soleil décolle doucement. Hier soir Natacha, notre médecin de brousse préféré s'est imprudemment proposée pour faire des crêpes au petit déjeuner. Ce matin, elle est au fourneau, le fouet à la main et la première crêpe embaume déjà l'atmosphère. Cette croisière est vraiment au top. Un moment plus tard nous dégustons nos crêpes parfumées au sucre et au citron, sur la terrasse, enfin, dans le cockpit de zéro, petite brise, vue sur le Saloum et la mangrove. Arrive l'heure de se mettre en route pour le village, nous embarquons dans les annexes. Au milieu de la traversée une voix sentencieuse annonce : « le temps se brouille... » Effectivement un embryon de nuage passe devant le soleil. On se demande bien d'où il sort. Concert d'exclamations « oui, ça se gâte... » , « m’étonnerait pas qu'il neige d'ici ce soir... ». A ce sujet, de quoi peuvent bien parler deux habitants du Saloum qui se croisent en pirogue ? Chez nous il parleraient de la pluie et du beau temps. Ici il y a la saison sèche où il fait beau tout le temps et la saison des pluies où il pleut tout le temps. « Bonjour, il pleut ! Bonjour, oui, il pleut. Hier aussi il a plu. Oui et demain je crois bien qu'il pleuvra... ». On a vite fait le tour du sujet. Pour compenser, ils ont mis en place la procédure des salamalecs : c'est tout un cérémonial, les répliques s'enchaînent, toujours les mêmes, en sérère, le dialecte local (qui n'a rien à voir avec le walof). Ce n'est pas facile à mémoriser. Le temps de dire bonjour comment ça va et de prendre les nouvelles de la famille et c'est déjà l'heure de la marée.

  

Siwo - Pirogues

 

Nous attaquons la journée sur les chapeaux de roues et nous effectuerons durant la matinée trente et une visites et procéderons à vingt et une extractions. La plupart sont des dents de lait faciles, mais il y a aussi des grosses molaires d'adultes. Là, on rigole moins... D'autant qu'en l'absence de moyens radiologiques, la situation n'est pas toujours facile à appréhender. La centrale de fraisage sur groupe électrogène est essoufflée, la pompe à salive est carrément asthmatique et la soufflette fonctionne quand elle veut bien. Laurence transpire et moi aussi. Heureusement nous sommes bien équipés en produits anesthésiques et les patients souffrent plus de l’appréhension que de la douleur, même si l'opération est parfois un peu longue. Nous recevons les enfants de l'école coranique, dépistés hier. La plupart ont très peur et la barrière de la langue constitue une vraie difficulté. J'ai le cœur broyé de les voir subir ces soins dans un tel état de terreur, alors que quelques mots permettraient probablement de les rassurer en leur expliquant ce que l'on fait. Ils sont habitués à être encadrés de manière très ferme, pour ne pas dire brutale et la compassion ne leur est pas familière. Ils sont durs au mal mais leur éducation ne les aide pas beaucoup dans cette situation ; certains ont déjà peur de nous simplement parce que nous sommes blancs et peut-être croient-ils qu'on va leur arracher toutes les dents. Nous terminons cette bonne séance par la traditionnelle « dent du midi ». Rien à voir avec l'ascension d'une quelconque paroi chamoniarde menant au paradis des funambules. Pour nous, çà ressemblerait plutôt à une descente aux enfers ! Selon un principe bien connu des dentistes, c'est toujours vers midi que se présente le client le plus compliqué à traiter, c'est à dire généralement l'extraction d'une grosse molaire bien pourrie et bien coincée. Ça ne rate pas : notre dent du midi se présente alors que nous sommes en fin de potentiel, fatigués, et tous nos instruments utilisés et souillés placés dans le bac de décontamination. Laurence va devoir travailler avec du moins bon matériel. Elle peine et je suis inquiet pour la réussite de l'opération mais elle en vient à bout à force de patience et de persévérance. C'est toujours comme ça, la dent du midi ; on se fait peur mais on y arrive.

 

Siwo - Repas

 

Philippe de Z le skipper reporter a une une idée géniale : il réunit le corps enseignant et propose de faire des photos de classe qu'il pourra imprimer sur le bateau. Bien sûr il reçoit un accueil enthousiaste et l'après midi sera donc consacré aux prises de vues. Les élèves sont tous surexcités.

Côté soignants, nous consacrons l'après-midi à terminer les visites de prévention et de dépistage chez les CE1-CE2. A chaque fois que nous entrons dans une salle de classe, tous les enfants se lèvent et nous accueillent par un chant de bienvenue. Leur attitude est empreinte de respect. Ils nous remercient de venir les voir, alors que c'est nous qui nous sentons redevables. C'est d'autant plus touchant.

Cette deuxième journée aura été riche en émotions. Je l'ai trouvée plus éprouvante. La confrontation directe à la souffrance des autres est une expérience déroutante.

 

 

Siwo - Cases

 

La soirée sur les bateaux nous offre un moment de détente agréable et indispensable. Philippe de Y et Stéphanie sont partis en tournée dans les villages environnants pour suivre l'avancement des différents projets de VSF et garder le contact avec eux. Le thème principal de ce soir est constitué par le récit de leurs déboires attendus dans le labyrinthe des bolongs, les bras secondaires du fleuve qui s'enfoncent en sinuant dans la mangrove. A en croire Mame Mor, certains d'entre eux sont maraboutés et susceptibles d'absorber des petits blancs et leur annexe pendant plusieurs jours...

 

 

 

Siwo (Siné Saloum) mercredi 2 mars 2011

 

Ce matin nous allons visiter la fumerie de poissons. C'est une installation en plein air située à proximité du village, qui fonctionne pendant quelques semaines dans l'année. Elle est utilisée par des travailleurs guinéens qui viennent acheter la pêche des grandes pirogues à moteur qui partent tous les jours en mer. Ils fument le poisson sur place et leur production est ensuite expédiée en Guinée et vers d'autre pays par camion. Je n'ai pas du bien comprendre tous les détails du processus car il certain qu'aucun camion n'est jamais venu à Siwo. C'est une île.

 

Siwo - Fumerie de poisson

 

Les fours sont des barbecues géants, de cinquante mètres de long sous lesquels brûlent des feux de bois mort ramassé dans la mangrove. Les poissons sont rangés sur des grilles par dizaines de milliers et cuisent dans la chaleur et la fumée. Le travail est organisé en plusieurs équipes. Les hommes sont chefs d 'équipes, coupent le bois, rangent les poissons. Les femmes déchargent les pirogues et préparent les poissons après le fumage en levant les filets. Pour cela elles s'installent à l'ombre de petites huttes sommaires.

 

 Siwo - Fumerie, écaillage des poissons

 

Le campement est parsemé de tas de têtes et de queues de poissons et balayé par la fumée. C'est une ambiance assez spéciale. Nous voyons un de nos patients du premier jour, victime d'un énorme abcès. Il y a du mieux, il peut ouvrir un peu la bouche. Espérons que nous pourrons le soigner correctement demain.

 

Siwo - Fumage des poissons

 

Après cette visite, qui avait pour but d'examiner les conditions de vie et d'hygiène sur le lieu de fumage, nous regagnons la case de santé pour reprendre les soins. Chaque équipe dans son box. De nombreux patients attendent toujours pour consulter Natacha le médecin et Emilie l'infirmière. Le cabinet dentaire a également beaucoup de succès. Mathilde la sage femme a eu quelques visites mais elle aura consacré l'essentiel de son temps aux causeries avec la population : les hommes, les femmes, les jeunes, les enfants. Elle avait eu deux accouchements lors de sa précédente mission, mais il n'y en aura pas cette fois-ci

Nous recevons une femme au nom familier. C'est la sœur de la femme peule du premier jour. Elle a la bouche dans le même état que sa sœur et hier nous lui avons arraché trois dents. Elle est revenue aujourd'hui pour terminer le travail. Cinq autres extractions ce qui porte son total à huit, comme sa sœur. Quelle famille...

Notre dent du midi d'aujourd'hui est au rendez-vous, en la personne de l'instituteur du village voisin. Il est venu à pied tout spécialement, une bonne heure de marche. L'intervention nécessite de couper la dent pour extraire successivement les racines. Le matériel portatif et le groupe électrogène sont bien utiles. L'opération a duré longtemps, le patient a reçu une dose d'anesthésique à endormir un cheval, suivie d'un bon antalgique, ce qui ne l'empêche pas de se remettre en route sous le soleil pour rentrer chez lui... Je l'ai vu partir mais finalement il a du changer d'avis car je l'aperçois à la fin du repas de midi, assis avec nous à l'extrémité du patio où nous mangeons. Ses collègues de Siwo lui ont sans doute proposé de rester partager le repas.

La gamme de soins dentaires est limitée compte tenu du peu de matériel. On a le choix entre soigner des caries en posant un amalgame, ou extraire la dent si elle est trop abîmée. Ce qui explique le nombre considérable d'extractions que nous pratiquons. C'est le seul moyen pour que la souffrance disparaisse. D'où l'importance des messages de prévention.

 

Siwo - Enfants

 

Philippe de Z le reporter se taille un grand succès en distribuant ses photos de classe. Pour renforcer encore son prestige, il lance un chantier de rénovation des pupitres de l'école. Il faut voir dans quel état sont les tables des élèves. Ceux-ci doivent parfois tenir d'une main le plateau pour pouvoir écrire. Philippe sacrifie son stock de boulons et refixe l'ensemble des bureaux. Les instituteurs nous assurent que les élèves seront contents. Je ne serai pas surpris si en revenant l'année prochaine, on découvrait un totem à l'effigie de Philippe sur la place du village.

Ce soir nous accueillons parmi nous Amadou, un jeune opticien sénégalais qui va travailler avec l'équipe médicale pendant le reste de la mission. Contrairement à Mame Mor qui a une conception très élastique de la pratique religieuse, Amadou est un fervent pratiquant. Nous le croiserons régulièrement à toute heure du jour ou de la nuit, étalant son tapis de prière sur le pont du bateau, dans le cabinet médical ou ailleurs, très naturellement et en toute simplicité, sans pour autant nous mettre mal à l'aise, charmant et toujours ouvert à la discussion et attentif à nos questions sur le sujet. Un musulman éclairé qui sert ses concitoyens en leur restituant la vue sur le monde.

 

Siwo - Flip et ses amis

 

 

Siwo (Siné Saloum) jeudi 3 mars 2011

 

Aujourd'hui, c'est déjà notre dernier jour à Siwo. La matinée est consacrée aux dernières consultations. Nous soignons un jeune pêcheur agé de 21 ans, Amadou NDONG. Il a une dent très abîmée qui le fait souffrir, et nous procédons à l'extraction. Au moment de partir, il nous remercie chaleureusement et me demande d'être son ami. Il insiste pour que je note son numéro de téléphone... Je suis très gêné et très ému par sa sincérité. Avant hier c'est Laurence qui avait presque la larme à l’œil lorsque le vieil homme à qui elle venait d'extraire avec difficulté une bonne grosse molaire lui à serré doucement la main entre les siennes, et la regardant droit dans les yeux, lui a assuré qu'elle avait le cœur pur. Quels beaux remerciements.

Philippe le skipper charpentier de marine termine son chantier de menuisier ébéniste à l'école. Nous partageons un dernier repas avec l'auxiliaire de santé et les enseignants du village et procédons au rangement de tout le matériel, en attendant la marée haute pour rejoindre les bateaux.

 

Siwo - Menuiserie à l'école

 

Sur le chemin du ponton, je croise un petit garçon qui s'est fait une bonne coupure au doigt en jouant. Il saigne, et il me montre sa main, de loin. Il doit forcément savoir que je fais partie de l'équipe médicale mais il n'ose pas s'approcher et si je m'avance il s'éloigne aussitôt. Je n'insiste pas, et tout en reprenant mon chemin, je l'invite à m'accompagner à la case de santé pour voir l'infirmière. Je ne sais pas s'il parle le français car il ne me répond pas mais il me suit à distance, accompagné par ses camarades de jeu, qui semblent l'encourager. Régulièrement je l'appelle et lui fais signe, il se rapproche un peu mais jamais au point de marcher à côté de moi. Et plus nous nous rapprochons de la case de santé, plus il fait l'élastique. Il s'arrête à une cinquantaine de mètres et ne semble pas vouloir approcher plus. Quelques enfants un peu plus grands tentent manifestement de le convaincre et finissent par l'attraper avec l'objectif de le traîner jusqu'ici mais il se débat comme un beau diable en braillant et finit par réussir à s'échapper. C'est un échec, je ne le reverrai pas.

L'après midi passe doucement, entre sieste et conversation à propos de voyages avec Laurence. Elle me laisse pantois en me racontant un séjour qu'elle a effectué en compagnie de ses enfants au Rwanda. Sa description va à l'encontre de tous mes préjugés et une fois de plus je constate à quel point la réalité vue et vécue est différente de la représentation que nous élaborons à partir de l'information fournie par nos médias aux paroles d'évangile. Elle me raconte un pays magnifique, un peuple traumatisé qui n'a plus qu'un seul désir : celui de vivre en harmonie les uns avec les autres ; l'accueil, l'hospitalité, l'ouverture ; la rencontre des gorilles dans la forêt, au cœur de ce sanctuaire qui abrite et protège les derniers survivants de cette espèce qui nous fascine et nous terrifie. Quelle chance d'entendre ce récit.

Dernière étape de la mission, la réunion finale avec les autorités du village permet de leur faire un compte rendu de ce qui a été fait. Comme à notre arrivée, tout le monde se confond en remerciements et se complimente mutuellement. J'avais pensé demander à Philippe de Y l'autorisation d'adresser quelques mots de remerciement à nos hôtes pour leur accueil mais les salamalecs se prolongeant interminablement, je préfère oublier. La séance se termine par une étonnante prière collective pour nous assurer un bon retour chez nous. Le matériel est enfin chargé sur la charrette et la procession du retour se met en marche.

 

Siwo - La charette

 

Tous les enfants nous accompagnent au ponton pour une dernière photo et nous font de grands signes d'adieu tandis que nous appareillons vers les bateaux au mouillage. Nous levons l'ancre à la nuit tombante et redescendons le Saloum jusqu'à Diogane pour être à pied d’œuvre demain matin. Nous emmenons avec nous un passager supplémentaire. Demain est prévu un festin en vue duquel Mame Mor a acheté une chèvre aux villageois. La pauvre est allongée les pattes entravées dans la troisième annexe amarrée derrière Yobalema et ses bêlements déchirent régulièrement la quiétude de notre navigation. La pauvre finit par se résigner et le silence retombe. Nous sommes à marée haute mais on n'y voit rien. Béni soit le GPS qui nous permet de naviguer en suivant la trace enregistrée lors de notre trajet initial. Après la dent du midi, nous expérimentons le mouillage du soir. Nous posons l'ancre au crépuscule face au village, à proximité de Yobalema. Philippe de Y, le skipper coordinateur trouve que nous sommes un peu loin et nous suggère de nous rapprocher. Je remonte l'ancre et le dernier mètre de chaîne se bloque inextricablement dans le guindeau. Marche avant, marche arrière, rien à faire, il faut sortir l'outillage, dévisser le capot, et décoincer la chaîne au marteau et au pied de biche ; évidemment ce dernier est introuvable. Philippe bagarre un moment avec les outils et réussit à résoudre le problème pendant que je m'efforce de maintenir Zéro dans le chenal, malgré l'obscurité. Heureusement le courant est faible et nous finissons par mouiller l'ancre à peu près au même endroit que la première fois. Un point positif : en rangeant les outils nous mettons la main sur le pied de biche. Nous sommes parés pour la prochaine fois.

 

Mame Mor, pêcheur du Saloum

 

 

Diogane (Siné Saloum) vendredi 4 mars 2011

 

 

Ce matin, je me réveille en pensant à notre pauvre chèvre qui a du passer une nuit bien inconfortable. En sortant sur le pont, j'aperçois Mame Mor et Amadou en pleine activité. La bestiole a été proprement égorgée, suspendue au portique par les pattes arrières et le dépeçage est en cours. Je me dépêche de m'engouffrer à l'intérieur du bateau pour éviter que cette vision ne me gâche le petit déjeuner. Je sens que je commence à m'endurcir. Si ma carrière de dentiste n'aboutit pas, je pourrai toujours me reconvertir comme équarrisseur.

Nous commençons par une visite du village sous le soleil, guidés par le fils de l'imam. De nombreux enfants nous accompagnent et un petit garçon me tient la main tout le long du chemin.

 

Diogane - Maison de village

 

Nous nous rendons chez le chef du village, qui nous accueille dans sa maison et nous échangeons les discours habituels. Pendant les salamalecs, j'examine la maison. Elle est constituée d'une vaste pièce centrale dans laquelle nous nous trouvons, aux murs peints et ornés de quelques cadres. Cette décoration semble répondre à la nécessité d'afficher les signes extérieurs de richesse correspondants au standing du maître de céans plutôt qu'à une réelle expression artistique. Quatre ouvertures occultées par des rideaux desservent les autre pièces de la maison. A la faveur des courants d'air, j'aperçois une chambre à coucher richement meublée. Surprenant quand on voit le dénuement dans lequel vit la population. Pour l'anecdote, le chef de village a confié en aparté au coordinateur de la mission que sa montre était en panne – une Rolex probablement contrefaite, mais sait-on jamais. Au cas où l'inspiration nous fasse défaut. La tentation de la corruption est malheureusement une réalité universelle.

Après cette formalité nous visitons les deux écoles. Comme à Siwo une école coranique et une école française. La différence de moyens matériels est moins flagrante mais notre arrivée provoque un chahut monstre dans les classes coraniques, alors que les élèves de l'autre école, tout aussi intéressés par notre présence, conservent une attitude plus disciplinée.

 

Diogane - Ecole coranique

 

Le reste de la matinée est consacré aux soins. Côté dents, nous n'avons pas débarqué le matériel lourd pour une seule journée (groupe électrogène, centrale de fraisage etc...) et il est donc prévu de ne traiter que les urgences. Comprenez les cas désespérés, que l'on résout par une extraction. Nous ne saurons pas si la faible affluence est due à un défaut d'information de la population, à une meilleure hygiène dentaire, ou à un manque de réactivité. A Siwo nous avions remarqué que l'activité du premier jour était moins soutenue, comme si les gens avaient besoin de temps pour se décider à consulter, ou attendaient le feed-back des premiers patients. Peut-être est-ce effectivement un décalage culturel. Dans ce cas, il serait vain de chercher à optimiser une tournée de soins en visitant un village par jour tout au long de la semaine.

 

Diogane - La case de santé

 

A midi, nous partageons le désormais traditionnel repas en commun. Aujourd'hui nous sommes reçus chez Diarrou, l'auxiliaire de santé du village qui occupe un petit logement de fonction derrière la case de santé. Deux pièces toutes simples, spacieuses et propres. Les plats sont magnifiques, fruit d'une matinée de préparation dans la petite cuisine attenante, par deux jolies femmes du village. Cependant la viande de chèvre ne me laissera pas un souvenir impérissable. Le hasard qui ne m'a peut-être pas attribué les meilleurs morceaux, les gémissements ou les garçons bouchers... Va savoir...

 

Diogane - Les cuisinières

 

En parallèle de toutes ces activités nous avons décidé de nettoyer Zéro en prévision de la traversée. Le dernier carénage date du mois de Septembre à Port Médoc et la coque a eu le temps de se couvrir d'algues et de coquillages. Nous échouons le bateau sur la plage de sable devant la case de santé, descendons les deux dérives latérales qui vont lui servir de béquilles et attendons que la marée basse découvre la coque. Philippe commence à gratter délicatement à la spatule. Pendant ce temps je vérifie la prise d'eau de mer qui permet de refroidir le moteur et d'alimenter l'évier. Rien de sorcier, il suffit de dévisser quelques boulons et trois colliers qui fixent les tuyaux et tout remettre soigneusement en place après vérification et nettoyage. Evidemment, ça manque de place sous les planchers et je démonte un panneau d'accès au moteur pour atteindre plus facilement mes écrous. Ca ne rate pas, la clé de treize m'échappe, passe par l'ouverture du panneau qui manque, entre le moteur et le deuxième plancher, et tombe dans le fond du bateau. J'ai beau me contorsionner, impossible de passer le bras suffisamment loin pour la récupérer. Je viens de réviser la première loi du bricolage naval : à bord d'un bateau, tous les outils ont une propension incohercible à rejoindre le fond de la mer ou à défaut, le fond du bateau. La prochaine fois, je refermerai le panneau moteur. Ce n'est évidemment pas la première fois que ça arrive et Philippe connaît la technique de récupération. Elle nécessite la mise en oeuvre de l'aspirateur du bord et nous lancerons l'opération lors du prochain ménage. Pendant ce temps, dehors, le travail avance mais peu avant la basse mer, tout le monde s'aperçoit simultanément que Zéro commence à pencher. L'inclinaison s'accentue et il faut se rendre à l'évidence. Le sable n'est pas aussi ferme qu'on nous l'avait assuré et la dérive bâbord s'enfonce. La gîte atteint trente degrés et nous craignons que progressivement en porte à faux la dérive ne finisse par se briser. De temps en temps des bruits inquiétants nous parviennent de l'intérieur du bateau. Ce sont divers objets qui se renversent ou tombent dans les soutes, ou les parties habitables. Il y a du rangement en perspective. Je monte acrobatiquement à l'intérieur du bateau pour refermer tous les hublots qui pourraient laisser entrer de l'eau s'ils se retrouvaient sous la surface. Pour stabiliser le bateau, nous portons dans l'urgence une ancre sur la rive côté tribord, et nous reprenons la drisse de spi sur la chaîne d'ancre depuis le haut du mât, et quelques tours de winch pour raidir l'ensemble. Philippe est plus qu'inquiet mais la gîte reste stable. Je prends le relais pour nettoyer le dessous de la coque côté tribord qui est hors de l'eau et faire quelque retouches de peinture antifooling. Pour l'autre côté, c'est fichu car il est inaccessible et la seule solution sera de le faire en apnée avant de revenir à Dakar où l'eau n'incite pas vraiment à la baignade. Il ne reste qu'à patienter en attendant que la marée remonte.

 

Diogane - Angoisse au chantier naval...

 

Notre crainte est qu'un effet de succion dans la vase n'empêche le bateau de se redresser et que l'eau submerge les capots permettant d'accéder aux soutes arrières. C'est effectivement ce qui se produit mais l'entrée d'eau reste très limitée et nous en serons quittes pour vider les fonds. Quand Zéro commence à de redresser, nous nous dépêchons d'aller récupérer notre ancre avec l'annexe avant qu'elle ne soit trop submergée et enfouie dans la vase. L'opération se passe bien jusqu'au trois derniers mètres de chaîne. Et là comme hier, pendant que je surveille d'un œil la descente de la chaîne dans son puits, et de l'autre la longueur restant à remonter, la chaîne tressaute dans le guindeau et le temps de réagir, tout est bloqué. Marche avant, marche arrière, rien n'y fait, les maillons se sont entortillés, tout est bloqué, pire qu'hier soir. Je cours chercher les outils, et là, c'est pas vrai, le pied de biche est à nouveau introuvable. J'essaie de me débrouiller comme je peux mais rien à faire. Philippe garde son calme mais je sens qu'il atteint ses limites. Nous intervertissons les rôles. Pendant qu'il se défoule avec le marteau je réussis à mettre la main sur le pied de biche. L'ancre et sa chaîne vont enfin réintégrer leur place dans la baille à mouillage et quelques minutes plus tard Zéro flotte à nouveau sur les eaux du Saloum. Nous retournons mouiller à côté de Yobalema et cette fois je me concentre pour effectuer la manœuvre d'ancre avec tact et délicatesse. Je transpire toutefois quelques gouttes de sueur en essayant de ne pas penser aux conséquences d'un nouvel incident. Heureusement tout se passe bien et nous pouvons aller sans vergogne nous glisser les pieds sous la table pour déguster le bon repas que l'équipe nous a concocté pour nous remettre de nos émotions. Finalement, j'aurai eu moins de problèmes avec la fraise qu'avec le guindeau..

 

 

 

De Diogane à Sangomar (Siné Saloum) samedi 5 mars 2011

 

 

Aujourd'hui, c'est le début du week-end. Le centre médical est fermé. Plus exactement c'est une journée de transition consacrée à la navigation. Pour l'équipe médicale, c'est aussi une journée de repos ; mais pour Zéro et son équipage, c'est du boulot. Nous devons retourner à l'embouchure du fleuve. C'est aussi pour nous le dernier jour dans le Saloum. Demain nous ferons route vers Dakar, et l'équipe médicale rejoindra le village qui l'accueillera pour la deuxième partie de sa mission.

Nous redescendons le large bolong que nous avions emprunté à l'aller, suivant la même configuration, Yobalema au plus faible tirant d'eau passe le premier. Nous le suivons en gardant un œil sur la trace enregistrée par le GPS. Je suis à la barre au moment du passage le plus délicat, où Yobalema s'était échoué il y a quelques jours. Évidemment, en sens inverse je ne reconnais pas l'endroit. Il faut dire que rien ne ressemble plus à un bolong qu'un autre bolong. Remarquant que le trimaran s'écarte légèrement de la trace GPS dans le virage, j'hésite sur la conduite à tenir, mais n'étant pas certain que la hauteur d'eau soit exactement la même que l'autre jour, je m'efforce de suivre sa trajectoire. Tout se passe bien jusqu'au moment où Philippe sort la tête du carré et me demande si j'ai ralenti le moteur. Quelle question bizarre. Mais en regardant la rive, je m'aperçois que nous sommes effectivement complètement à l'arrêt. Comme la manette des gaz n'a pas bougé, on peut en conclure que je viens d'échouer Zéro sur le banc de sable. Effectivement à l'arrière l'hélice soulève un nuage de vase. Comme à l'aller, le vent latéral a du déporter le trimaran à l'extérieur du chenal mais son faible tirant d'eau lui a permis de passer. Zéro cale soixante centimètres de plus ; j'aurais du vérifier précisément les heures de marée et faire confiance au GPS. Marche arrière pour essayer de s'extirper. Peine perdue car à l'arrêt le bateau n'est pas manœuvrant et le vent nous plaque contre le banc. On emploie les grands moyens : Yobalema revient pour nous tirer latéralement à l'aide d'une aussière pendant que nous poussons l'étrave par l'autre côté avec l'annexe. Cette fois, on s'en sort et nous voguons sans autre péripétie jusqu'à notre hôtel favori, près du village de Diogane.

 

 

Nous avons prévu d'y faire halte pour le reste de la matinée, afin de profiter de la connexion internet de l'hôtel et visiter le jardin potager expérimental dirigé par Mistick, l'un des frères de Mame Mor. Nous le retrouvons à la porte de l'hôtel et nous nous rendons sur place en sa compagnie, sur une carriole. Pour l'anecdote, les chevaux attelés aux deux carrioles du village s'appellent Sarko et Carla. Le Sénégalais est moqueur.

Le jardin situé à la périphérie du village de Diogane produit toutes sortes de légumes : tomates, aubergines, manioc, courges, oignons, patates , etc. C'est le fruit d'un travail acharné car le sol est manifestement très pauvre et il faut absolument arroser tous les jours sous peine de tout perdre. Il a donc fallu creuser des puits suffisamment profonds pour avoir de l'eau douce. A faible profondeur, l'eau est salée et grille les plantes. Les semences sont d'abord élevées dans une pépinière puis transplantées dans le grand jardin. Mistick est intarissable et nous explique tout avec force détails. Il est passionné, a su collecter beaucoup d'informations et développer une réelle compétence. Il faut savoir que ce jardin est tout à fait exceptionnel car les activités traditionnelles dans la région sont la pêche et l'élevage. Après deux ans d'effort, les résultats sont là.

 

Dionewar  Le jardin de Mistick

 

Sur le chemin du retour Amadou me parle longuement de son pays qui semble faire figure d'exception dans notre monde où règne l'intolérance. De nombreuses ethnies y vivent en bonne intelligence et les religions y cohabitent harmonieusement. Chrétiens et musulmans s'invitent mutuellement pour partager leurs festins de fête, en prenant garde de proposer des mets qui conviennent à tous. Selon lui, l'exode rural vers les grandes métropoles est une grosse erreur car les gens se retrouvent sans ressources et vivent misérablement de petits trafics. Je sens qu'il est en phase avec la démarche de Mistick : entreprendre, travailler, prendre de la peine et récolter le fruit de ses efforts. Ce sont certainement des garçons comme eux qui peuvent construire l'avenir de leur pays. Ils se situent aux antipodes de nos clichés éculés sur les africains fainéants. Mais leur énergie est-elle suffisante pour remuer les bénéficiaires de l'incroyable système administratif en place à Dakar comme probablement dans la plupart des pays d'Afrique ? Une multitude de fonctionnaires en uniforme qui ne servent probablement pas à grand chose et dont on se demande comment sont financés leurs salaires. Pressurage de la population par l'impôt , gaspillage des ressources naturelles, subventions d'autres pays ou d'organismes internationaux ? Je me demande aussi combien de caractères comme ceux d'Amadou et de Mistick ont une chance de survivre aux conditions que j'ai pu constater lors de la visite à l' école coranique de Siwo. De tels établissements sont probablement plus propices à faire naître des vocations de jihadistes que d'universitaires ou d'entrepreneurs.

Reprenant les bateaux, nous nous dirigeons vers l'île de Sangomar. C'est une langue de sable qui sépare l'océan du delta du Saloum. Nous mouillons dans une anse que l'on peut qualifier de paradisiaque, pour y goûter quelques heures de repos. Jolie plage de sable traversée par une petite rivière au fond tapissé de coquillages et bordée par la mangrove.

 

 

Zéro au mouillage de Sangoumar

 

D'abord une petite baignade, prétexte à gratter le bâbord de Zéro qui a conservé sa parure d'algues et de coquillages. Puis Mame Mor improvise un barbecue creusé dans le sable, astucieusement attisé par un tunnel orienté face au vent et nous régale de délicieux poissons grillés.

 

Mame Mor dans ses oeuvres

 

Le repas est brièvement interrompu lorsque nous voyons Zéro passer devant nous, chassant sur son ancre. Un saut d'annexe pour aller le récupérer et le ramener à sa place avec quinze mètres de chaîne supplémentaires. C'est invraisemblable, on ne peut jamais être tranquille.

L'après-midi est consacré à la corvée de bois en prévision de la soirée : nous accumulons une montagne de bois mort récupéré dans la mangrove, que nous transportons en annexe de l'autre côté de l'anse, à l'extrémité de l'île. C'est là que nous terminerons cette semaine exceptionnelle de la meilleure des manières : langoustes et gambas grillées au feu de bois et au son des djembés. Mais la pensée du lendemain me gâche un peu le plaisir. Un peu triste, la vie de marin, quand on va quitter ses amis.

 

Quelques gambas après vos langoustes ?

 

 

Un peu de musique pour terminer...

 

 

En mer, de Sangomar à Dakar (Sénégal) dimanche 6 mars 2011

 

Mauvaise nuit. Je dors mal et je suis réveillé en pleine nuit par des bruits de voix. Je comprends qu'il y a un problème sur Yobalema. Son ancre a du déraper, comme la nôtre hier, et l'équipage doit s'efforcer de remonter le mouillage et de reprendre le contrôle du bateau avant d'aller s'échouer ou heurter Zéro. Je bondis de ma couchette et fonce jusque sur le pont. Nuit noire sous les étoiles, l'eau clapote, il règne sur la baie un calme et une sérénité à côté desquels un monastère bénédictin ferait figure de dernière boîte de nuit à la mode. Je suis victime d'hallucinations. Ça doit être la digestion des langoustes. Manque d'habitude. Je me recouche discrètement en remerciant le ciel de ne pas avoir réveillé tout l'équipage.

Le lendemain, après avoir partagé un dernier petit déjeuner avec nos pensionnaires, nous les raccompagnons sur Yobalema et nous faisons nos adieux à toute l'équipe de VSF.

Nous regagnons Zéro et les manœuvres d'appareillage accaparent notre attention. Un dernier signe de la main à nos amis et nous nous dirigeons vers la passe qui permet de rejoindre l'océan. En tournant la pointe de l'île, nous croisons Jérôme qui arrive sur le Soli pour prendre le relais. Les bateaux se frôlent, juste le temps d'échanger quelques mots et il s'éloigne déjà. Prochaine rencontre peut-être à Salvador car il a lui aussi le projet de traverser vers le Brésil après la mission avec VSF.

 

Le Soli au mouillage de Dionewar

 

Zéro me paraît bien vide aujourd'hui. C'est bien de voyager en bateau mais il faudrait pouvoir emporter dans son sac tous les gens qu'on aime pour pouvoir les sortir quand on a envie.

Nous remontons vers Dakar au près serré et au moteur pour éviter de tirer des bords interminables et gagner du temps, face à une houle courte qui ne perturbe pas Zéro. C'est bien un grand bateau. Je fais route au Nord pour la première fois depuis la sortie de la Gironde au début du mois d'octobre, lors du départ pour Madère. Heureusement, c'est provisoire. Nous longeons la côte que nous n'avions pas vue à l'aller. C'est la partie occupée par l'infrastructure touristique, un continuum de résidences et d’hôtels de luxe. Il y a des arbres et des châteaux d'eau. Vu du large cela ressemble plus une côte de chez nous qu'à l'Afrique. Nous arrivons à Dakar après la tombée de la nuit et nous reprenons le mouillage dans l'obscurité. Il semble y avoir eu du mouvement pendant notre absence. Nous n'arrivons pas à situer les bateaux épaves perchoirs à oiseaux près desquels nous étions il y a huit jours. On verra mieux au matin. Je pense à nos amis de VSF qui ont du rejoindre leur nouveau mouillage. Demain, une rude journée de travail les attend. Nous aussi.

 

Reste les souvenirs...

 

 

 

Dakar, lundi 7 mars 2011

 

 

Bonne nuit de repos. Heureusement , car la journée s'annonce chargée.

Philippe a rédigé une liste de deux kilomètres de long de choses à faire et on attaque bille en tête par le nettoyage du bateau. L'extérieur a été lavé à grande eau de mer hier mais l'intérieur reçoit un bon coup d'aspirateur et de serpillière . On en profite pour lancer l'opération de récupération de la clé de treize dans les fonds. Évidemment comme on a navigué au près, elle en a profité pour changer de place. On passe un quart d'heure à la localiser. Sous le moteur, derrière l'arbre de transmission, le coin le plus inaccessible. Mais grâce à l'aspirateur et ses tuyaux à rallonge, rien ne nous résiste et elle ne tarde pas à réintégrer sa place dans la caisse à outils. Plein d'essence du groupe électrogène et de la nourrice de l'annexe. Siphonnage d'un bidon de gazole dans le réservoir de Zéro.

Douche , lessive, argent frais, plein des jerrycans d'essence et de gazole à la station service la plus proche, en taxi. Ça ne rate pas, le bouchon d'un bidon de gazole laisse couler deux litres puants dans le coffre du malheureux chauffeur.

Nous retrouvons avec plaisir la cuisine d'Aïda puis l'après midi est consacré à l'avitaillement. Un premier grossiste nous fournit à bon prix tous les produits de notre liste dont il dispose. Nous enchaînons avec une tournée en taxi chez King Cash la succursale Leader Price locale. Le solde sera fourni par Fara, l'épicier d'en face. Son magasin n'a rien de commun avec la Samaritaine car il tiendrait dans ma salle de bain, qui n'est pas très grande. Mais Fara est une sorte de Rastapopoulos sénégalais, capable de vous dégoter absolument n'importe quoi à Dakar, à un prix raisonnable.

La phase d'acquisition n'est qu'une première étape. Il reste à transférer les marchandises à bord. A côté, les courses du samedi en voiture au supermarché du coin sont une véritable sinécure.

 

Dakar - La plage de Hann

 

Transport à bras ou en brouette si on en trouve une, depuis le portail du CVD jusqu'à la plage puis au bout du ponton puis dans l'annexe, évidemment c'est marée basse donc on descend l'échelle sur toute sa hauteur ; une fois sur l'eau, du vent et de la houle donc ça mouille, puis transbordement sur Zéro. Enfin, rangement dans les soutes, selon une méthode élaborée qui conduira infailliblement le jour venu, à devoir inventorier la totalité des caisses de nourriture pour retrouver le paquet de thé ou le pot de confiture indispensables à la survie de l'équipage. Pour les bouteilles de rhum, le problème ne se pose jamais. Tout le monde sait toujours parfaitement où elles sont rangées.

 

Dakar - Le ponton

 

Ce soir, après tous ces efforts, nous avons envie d'une pizza. L'attrait du retour à la civilisation. Nous cédons à la tentation et marchons à pied jusqu'à la pizza du Bolong, version sénégalaise des livreurs de pizza à domicile qui font fureur sous nos latitudes. L'établissement, bien connu dans le quartier, dispose en permanence d'un comptoir, d'une terrasse en plein air avec deux tables, et ponctuellement d'un livreur en scooter. La présence de ce dernier est soumise aux caprices de sa mécanique et, plus aléatoirement, à son aptitude à synchroniser ses horaires personnels avec l'appétit des clients. La maîtresse de maison, une française, nous confirme que c'est un jour sans et que nous avons bien fait de venir sur place. J'hésite longuement entre une Ornella et une Bellucci. Allez savoir pourquoi. Je n'ai pas pris les deux. On ne sait jamais, des fois qu'on revienne avant d'appareiller, je me suis gardé une poire pour la soif. Mon choix s'est porté sur Monica, qui a vraiment été très bien. Sympa, la vie de marin !

L'événement majeur de la journée est l'arrivée de Dakar sur Zéro. Dakar est un chaton que Philippe a décidé d'adopter et d'emmener au Brésil. Nous avons réussi à nous procurer un sac de croquettes et une vieille bassine que nous garnissons de sable prélevé sur la plage. Nous installons la caisse et deux écuelles sous la table du carré et fermons hermétiquement le bateau de peur que le matou ne tombe à l'eau pendant la nuit. Après une rapide exploration il s'installe dans le casier à drapeaux qui constitue effectivement une petite niche bien douillette. Nous en concluons qu'il est d'accord pour s'installer à bord.

Une grande goélette est au mouillage. Elle s'appelle « Patriarche » et appartient à l'association « Déferlante ». Elle emmène autour du monde des éducateurs et des jeunes qui sont mieux à bord qu'à faire des bêtises dans les banlieues. Il se trouve que l'un des deux skippers n'est autre que l'acheteur d'un ancien bateau de Philippe, son mythique First 35. Peut-être va-t-il aussi acheter Zéro ? Retrouvailles bien sympathiques. Les deux compères sont heureux de se recroiser et nous passons un bon moment. La mer est vaste mais le monde est petit.

 

 

 

Dakar, mardi 8 mars 2011

 

 

En pleine nuit je suis réveillé par une odeur indescriptible. Je devine aisément la cause du problème mais je me rabat lâchement le drap sur la tête pour essayer de filtrer l'air et je me rendors. Au petit matin je me lève et je traverse le carré en adoptant la démarche précautionneuse d'un artificier égaré sur la route de Bagdad. Bien m'en a pris car l'objet du délit se situe en plein milieu du carré. Ne souhaitant pas perturber la relation naissante entre l'animal et son nouveau maître, je vais m'installer à l'extérieur en lui laissant le soin de prendre dès son réveil les dispositions pédagogiques qu'il jugera les plus adaptées. Je n'ai toujours pas compris comment une si petite bestiole a pu produire une mine aussi énorme et nauséabonde. Voilà ce qui arrive quand on se nourrit dans les poubelles de Dakar. Pas étonnant qu'il soit d'accord pour émigrer.

 

Toubab, la chatte

 

La matinée est consacrée à la préparation du bateau. Nettoyage du filtre à eaux grises, changement du flotteur de la pompe, révision du moteur. Vidage à l'écope puis à l'éponge de l'eau embarquée dans la soute arrière, suite à l'opération de carénage devant Diogane.

Je complète le plein de la cuve à gazole pendant que Philippe s'occupe du plein d'eau, en bidons. Pour changer, je vais à la station en charrette. C'est un peu plus long mais tellement plus folklorique. L'avantage décisif de cette méthode est qu'en revenant par la plage, le charretier me dépose avec mes quatre bidons de trente litres devant le ponton. Néanmoins il reste quand même la descente dans l'annexe par l'échelle, le vent et la houle. On se mouille encore.

Assez de travail pour aujourd'hui. L'après-midi est consacré au farniente et aux activités électroniques : internet, vidéo, musique, en attendant ce soir l'arrivée de Sandra et Stéphane. Nous serons au complet pour la traversée.

Nous avons débaptisé le chat. Désormais il s'appellera Toubab.

 

Dakar - Arrivée de Sandra, Stéphane et leurs bagages

 

 

 

Dakar, mercredi 9 mars 2011

 

 

La journée donne lieu à une intense activité touristique. Sandra et Stéphane sont bien arrivés à bord hier soir comme prévu. Le taxi de l'incontournable Nango les a déposés avec armes et bagages au portail du CVD. Nous avons planifié une visite de Dakar digne des meilleurs tour-opérateurs du marché : place de l'indépendance, palais présidentiel, marché, fabrique de tissus, avec déjeuner dans un établissement typique. Le tout au pas de course.

 

Dakar - En ville

 

Pour Stéphane, c'est une découverte complète car c'est la première fois qu'il s'aventure hors d'Europe. Le choc est rude mais il fait bonne figure, même à midi en dégustant la gastronomie locale, dans la plus pure tradition sénégalaise. Pour Sandra ce sont plutôt des retrouvailles car elle est déjà venue au Sénégal il y a quelques années.

 

 

Dakar - Le palais présidentiel

 

Nous dépensons nos derniers francs CFA pour compléter l'avitaillement, payer le port, les derniers détails. On a du calculer un peu juste car il nous en manque mais heureusement l'euro est accepté partout. Ça tombe bien, on en a.

Le soir, nous organisons un grand barbecue de poissons au CVD pour fêter notre départ. Toubab se fait presque exploser le ventre en ingurgitant tous les restes.

 

Dernière nuit à Dakar, demain nous levons l'ancre en direction des îles du Cap Vert.

 

  

 En mer, jeudi 10 mars 2011 entre Dakar et Cabo Verde

 

 

Jour du grand départ.

Zéro a relevé son ancre. Nous avons hissé les voiles, trinquette et un ris dans la grand voile pour quitter la plage de Hann. Nous faisons route plein sud pour sortir de la grande baie de Dakar en longeant l'Île de Gorée, de sinistre mémoire, d'où partaient les navires négriers pour les Amériques. Elle est bien jolie aujourd'hui, ornée de maisons de style colonial aux couleurs chaudes, dans le bleu du ciel et de l'océan.

 

L'île de Gorée

  

Gorée - Le mémorial de l'esclavage

 

Nous enroulons le cap Manuel et doublons les îles de la Madeleine, gros rochers gris aux formes arrondies dont l'une des extrémité ressemble à deux otaries qui se frotteraient le museau.

 

 

 Les îles de la Madeleine

 

Cap plein Ouest. Le vent et la mer se stabilisent, nous réglons la voilure, génois et grand voile haute, Zéro prend son allure de croisière, au petit largue, bien posé sur la houle de l'Atlantique qui ondule et s'allonge progressivement. Dernière nous s'étire au loin la côte de Dakar, versant océan. La pointe rocheuse qui marque l'entrée de la baie, le plateau, le centre ville et ses grand immeubles administratifs, puis la longue plage, bordée par les somptueuses villas qui abritent les ambassades de tous les pays, dont certains parmi les plus pauvres du monde, et enfin les deux collines de la pointe des Almadies, qui marquent l'extrémité occidentale de la presqu'île du Cap Vert et du continent africain. Au sommet l'immense monument à la gloire de la renaissance africaine se détache sur le ciel clair, absurde gaspillage dans ce pays ou la quasi-totalité de la population manque cruellement de ressources et d'équipements.

 

 

A quinze mille au large, nous croisons encore des pirogues de pêcheurs avec les quels nous échangeons de grands signes du bras. Le monde économique et culturel qui nous sépare n'empêche pas de se saluer fraternellement. C'est un aspect parmi les plus chaleureux de ce pays si attachant. Ba beneen ! Au revoir, Sénégal !

 

Pêcheurs au large de Dakar

Un article sur la pêche au Sénégal 

Page suivante : Vers les Iles du Cap Vert

 



28/04/2011

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 57 autres membres