Ohé matelot ! Quelques pérégrinations en voiliers

Ohé matelot !    Quelques pérégrinations en voiliers

La traversée, du 15 au 28 mars 2011

 

En mer, mardi 15 mars 2011 (1er jour)

 

Départ 9h30. Nous longeons Brava en direction du Sud, à huit nœuds, génois partiellement déroulé. Le vent de nord-est accélère entre les îles, la mer est houleuse et nous attendons de passer derrière l'île pour trouver une zone plus calme et envoyer la grand-voile.

 

Mer agitée autour des îles

 

Pas forcément un bon calcul car nous nous retrouvons englués dans cette zone molle. Nous finissons par mettre en route le moteur pour en sortir, ce qui nous permet en même temps de recharger les batteries du bateau et notre petit matériel de touristes : ordinateurs, appareils photo, lecteurs MP3... Par la suite il nous faudra probablement mettre en route régulièrement le groupe électrogène. Grandeur et servitudes du progrès technique.

 

Puis plus calme....

 

Les deux lignes de traîne sont installées à l'arrière. Durant toute la matinée nous naviguerons dans la zone perturbée sous le vent des îles. Le vent varie en permanence de direction et d'intensité, la mer est agitée, sous l'effet de la confluence des courants qui contournent les îles. Les creux atteignent deux ou trois mètres, les vagues se croisent, leur sommet déferle. Lorsque deux d'entre elles se synchronisent, elles montent plus haut, formant une sorte de pyramide qui envoie sèchement un fouet d'écume vers le ciel. A bord de Zéro, ce n'est pas inquiétant, mais j'imagine l'inconfort sur un petit bateau. Sandra et Stéphane, sans être franchement malades somnolent intensément, le chat est perturbé par les mouvements du pont mais son estomac se porte bien. Je prépare du riz avec une bonne sauce tomate aux oignons pour Philippe et moi. C'est un peu acrobatique compte tenu des mouvements du bateau mais rien ne se renverse et le résultat est plutôt satisfaisant. Le cliquet du moulinet nous tire de notre torpeur digestive. Philippe commence à remonter la ligne, et nous avons l'impression qu'un second poisson, plus gros s'efforce de venir le dévorer. En réalité il est pris sur la deuxième ligne, dont l'élastique est tendu à craquer. Nous sortons un joli poisson d'environ un mètre de long, argenté aux reflets bleu outremer, au nez pointu. Je pense que c'est un thazard. Toubab est très excitée par le poisson qui gigote sur le pont. Elle en aura sa part, comme tout le monde.

 

Balthazar 1er, royal thazard

 

Sur l'autre ligne, c'est du sérieux. Une coryphène, probablement de la taille de celles que les pêcheurs de Sal (Cap Vert décembre 2009) ramenaient dans leurs filets et dont la vision, pour agaçante qu'elle soit, nous rappelait quotidiennement les vertus de l'humilité. Justement cela se vérifie, car sous l'effet conjugué de leurs impatiences respectives, une violente traction pour Philippe, un vigoureux coup de queue pour le poisson, ce dernier réussit à se décrocher. Le leurre est projeté en l'air et ma main droite est juste sur la trajectoire. Le choc est violent mais heureusement j'échappe aux hameçons. Nous sommes partagés entre la satisfaction de la capture du thazard, la déception causée par la perte de la coryphène et le soulagement de ne pas avoir à nous lancer dans une opération chirurgicale d'extraction d'hameçon. En examinant la ligne, nous constatons que l'hameçon s'est brisé, il ne lui reste que deux pointes sur trois. C'était vraiment du gros. L'après midi passe tranquillement et nous terminons la journée par une bonne potée : darne de thazard fraîchement pêché, au court bouillon de langouste sur lit de petits légumes et patates douces. Très goûteuse, la vie de marin pêcheur !

A quelques jours du mythique passage de la ligne, entendez l'équateur, nos relations avec Neptune se présentent sous des auspices on ne peut plus favorables. En bonne intelligence, il nous a offert deux poissons et nous lui en avons courtoisement rendu un.

 

Stéphane en petite forme

 

 

En mer, mercredi 16 mars 2011 (2ème jour – 12°15N 25°34W)

 

Premier quart de nuit, de deux heures à cinq heures. Stéphane a du me secouer les pieds tellement je dormais bien. J'émerge du carré sous un joli clair de lune. On y voit presque comme en plein jour. Malheureusement pour contempler les étoiles il faudra encore patienter. Entre les nuages qui les cachent et la lune qui les efface, il n'y a pas grand chose à observer. Les vagues sont plus rondes, la houle s'est transformée en une ondulation régulière, respiration apaisée d'un océan qui semble lui aussi céder à l'endormissement. Zéro taille sa route vers le sud, entre huit et neuf nœuds. Je le sais, à la petite vibration qui parcourt le pont sous mes pieds.

Au matin, pas mal de nuages. En allant à l'avant, Stéphane ramasse un poisson volant qui a terminé sa trajectoire sur le pont. Toubab est ravie.

Croisé un navire marchand : le Taisei Maru No.24 (MMSI 431678000) à 2,6 nautiques 124 mètres de long, 17 de large 13,5 nœuds cap 007 à 17h30. On sait tout grâce à l'électronique !

Coucher à 21 heures. Épuisante, la vie de marin.

 

Premier gros bateau

 

 

En mer, jeudi 17 mars 2011 (3ème jour – 9°19N 26°02W)

 

Long quart de nuit, d'une heure à six heures. Malheureusement c'est la lune montante, elle est presque pleine et illumine tout le ciel. Pratique pour la visibilité question navigation mais désastreux pour l'observation des étoiles. En plus il y a des nuages. A défaut de pouvoir observer le ciel, je me contente d'explorer la littérature astronomique. Cela me permet déjà de comprendre pourquoi il était si difficile de repérer Cassiopée dans le ciel du Saloum. En cette saison, elle est tellement au nord et basse sur l'horizon qu'il est impossible de la voir sous ces latitudes. On pouvait chercher longtemps. Nous passons sous les dix degrés de latitude nord.

 

Toubab en regain de forme 

 

Les ennuis commencent avec le constat d'une attaque de moisissure sur notre stock de pain de mie acheté à Dakar. Nous effectuons un tri sélectif draconien. Curieusement, le pain est également à moitié rassis. D'habitude on mange le pain frais en premier et on garde le pain de mie pour la fin de la traversée. Ici il faudrait faire l'inverse. Trop tard. Nous regrettons nos bons produits industriels abondamment assaisonnés de conservateurs. Celui-ci, fabriqué à Dakar, est emballé dans des sachets estampillés Brioche Dorée (dédicace spéciale JP). Nous reconditionnons la totalité du stock et envisageons les différentes stratégies de consommation possibles. Nous déplorons malheureusement une attaque de pourriture sur les tomates. Les bananes mûrissent. Le suivi attentif de l'état du stock de fruits et légumes est une tâche quotidienne incontournable, surtout sous ces latitudes. Même en hiver...

Beau temps, mer calme, petite brise. On a sorti le spi de son sac à voile. Il nous fait gagner un nœud et demi.

 

Avec le spi, sans les réglages !

 

Toubab n'a plus de poisson et devient infernale dès qu'on essaie de casser la croûte. Le pâté hallal acheté à Dakar et les saucissons français la rendent dingue. Curieusement, il n'y a que la peau qui l'intéresse.

En prévision de la nuit, nous remplaçons le spi par un génois tangonné. L'affalage du spi ne se passe pas comme on l'aurait souhaité. La chaussette est coincée, conséquence de notre brassage nocturne en catastrophe lors du trajet pour rejoindre le Saloum. Nous savions qu'il avait été mal rangé mais le fait d'avoir pu le hisser sans difficulté nous avait rassurés. A tort. Il aurait fallu procéder à une manœuvre complète. C'est une bonne leçon.

Au menu du soir : thazard mayonnaise et spaghetti cuits dans le bouillon, divin... Le chat est d'accord.

 

 Et un coucher de soleil, un !

 

 

En mer, vendredi 18 mars 2011 (4ème jour – 6°59N 26°21W)

 

Après le quart de nuit désormais habituel, réveil à 10 heures. Sur le pont, Stéphane et Philippe sont en pleine manœuvre : hissage du spi en cours. Un bon petit vent est établi qui va nous permettre de faire remonter la moyenne après une nuit plutôt molle. Ce n'est qu'après plusieurs minutes que je réalise la présence à l'arrière du cockpit d'un thazard de taille respectable. Il est bien plus imposant que celui que nous avons pêché en quittant Brava. Sur la balance il accuse un poids de neuf kilos et toise un mètre vingt.

 

Balthazar II, dit Le Grand

 

Il s'est pris au lever du soleil sur la ligne posée cette nuit. A en croire Philippe qui nous en fait le récit, la capture a donné lieu à un combat de titans. La bestiole s'est si bien défendue qu'il a failli se retrouver emberlificoté dans la ligne, l'hameçon accroché dans son t-shirt. Un peu plus et on retrouvait le chat et le poisson ensanglanté en train d'essayer de se bouffer mutuellement avec Philippe saucissonné dans la ligne de traîne derrière le bateau. Après l'incontournable séance de photos, nous mettons en place l'atelier de conditionnement. Le travail va nous occuper toute la matinée. Rien ne se perd. La tête et la queue vont prendre une place honorable dans notre galerie des trophées. Les tripes nettoyées seront pour Toubab le chat. J'ai envisagé d'interpréter une recette de tripes à la lyonnaise, mais la littérature marine est trop peu loquace sur ce sujet et je renonce provisoirement. Les jours de disette éventuellement à venir stimuleront ma motivation. Dans l'immédiat, nous découpons un filet en lanières qui sont enfilées sur un fil, pour sécher au soleil et au vent. Un autre est plongé dans le reste de bouillon. Les autres beaux morceaux sont placés à l'abri au frais, en attendant de décider à quelle sauce ils seront accommodés. Pour midi, tous les petits morceaux sont marinés dans le jus de citron, composant un excellent poisson à la tahitienne. C'est un régal. Le chat a du mal à déplacer son ventre qui traîne par terre. Nous aussi.

 

Oui, plus gros...

 

 Après cette matinée de labeur acharné sous le soleil, l'après midi est consacré à la récupération. Sieste, soleil, douche, lecture, cuisine. Ah oui, au fait, la température de l'eau atteint les 29 degrés.

Au menu du soir : rougail de poisson. Stéphane est unanimement reconnu meilleur cuisinier de la journée..

La vie de marin est un combat permanent contre le scorbut.

 

 

En mer, samedi 19 mars 2011 (5ème jour – 4°35N 26°33W)

 

Quart un peu agité avec un vent instable entre les averses, obligeant à surveiller le cap en permanence. Même pas suffisantes pour rincer le pont et les voiles. Mais on avance toujours. Pour le moment le pot au noir est aux abonnés absents.

 

Quart de nuit ; y fait sombre...

 

Lever à neuf heures. Ça ne fait pas beaucoup de sommeil. L'avantage de cette vie en mer, c'est que je pourrai aller me rendormir n'importe quand dans la journée. Bain d'eau de mer puis douche à l'eau douce dans la jupe. Précisons qu'il n'est pas nécessaire de se travestir pour se laver à bord. La jupe est la partie arrière du bateau, surbaissée par rapport au pont. Elle permet d'embarquer facilement dans l'annexe et bien sur de remonter facilement dans le bateau après une baignade (volontaire ou non). Mais surtout, on y fait la vaisselle, la lessive, on y vide le poisson, on y stocke l'annexe, les poubelles, les bidons d'eau douce non potable, on y prend des seaux d'eau de mer, on y fait sa toilette. C'est un lieu de vie très important.

 

 Vaisselle nocturne dans la jupe

Aujourd'hui, cela fait exactement un mois que je suis parti. Déjà la moitié. J'ai conscience du temps passé, riche d'expériences nouvelles, de découvertes. J'ai profité de chaque instant mais rétrospectivement, ce mois me semble si court ! Pourtant je crois bien que c'est la première fois que je reste loin de chez moi aussi longtemps. Comment expliquer cette crainte irraisonnée qui m'a toujours retenu de partir, alors que j'ai la conviction de vivre plus intensément que jamais ? Ce qui manque le plus, c'est de recevoir régulièrement et fréquemment des nouvelles de la famille et des amis. C'est surtout frustrant, du fait que les moyens de communication dont nous disposons aujourd'hui devraient le permettre. Si on avait les mêmes sponsors que les coureurs du Vendée Globe qui sont connectés au monde vingt quatre heures sur vingt quatre. Pour le reste je m'adapte bien. Je supporte sans difficulté les changements de régime alimentaire, successivement à base de riz et légumes épicés puis de poisson frais. Ne me manquent ni les tabliers de sapeur, ni les saint-marcellin, ni les bons vins de chez nous. Enfin, pour le moment.

 

Petits travaux d'entretien

 

 

 En mer, dimanche 20 mars 2011 (6ème jour – 1°55N 26°50W)

 

Hier je me sentais un peu déphasé au point de vue sommeil et repas. J'ai pris l'habitude de casser la croûte pendant mon quart, donc entre une heure et cinq heures du matin. Après la nuit que nous venons de passer, soit je serai recalé soit je serai complètement à l'envers.

Endormi depuis peut-être une demi-heure, je suis réveillé par un vacarme épouvantable. Des coups sur le pont, juste au -dessus de ma tête. Comme ça ne s'arrête pas, je finis par me lever. C'est une écoute qui bat pendant que Philippe et Stéphane prenne un ris dans la grand-voile. Nous sommes en plein sous un grain. Il pleut à verse, c'est froid et on n'y voit rien, malgré la pleine lune. Évidemment c'est le moment que choisissent deux cargos pour couper notre route. Un qui nous croise sur tribord, l'autre qui nous rattrape sur bâbord. On branche le radar pour localiser la zone de pluie et surveiller ces deux gros tas de ferraille. On est contents d'avoir toute cette électronique et d'avoir pris la précaution d'affaler le spi hier soir ! Finalement le vent tombe et on continue au moteur. Le grain ne dure pas et nous retrouvons rapidement un ciel dégagé. Au clair de lune, le contraste est tel qu'on se croirait en plein jour. Pendant cet épisode, nous sommes entrés dans les eaux territoriales brésiliennes. Autant dire qu'on est arrivés. Finalement on décide d'attendre un peu pour le champagne et je retourne me coucher. Dans un grand élan de générosité, Stéphane me laisse dormir jusqu'à quatre heures. La situation n'a pas changé : la mer est calme, pas de vent. La clarté de la lune permet à peine de distinguer les étoiles les plus brillantes. J'attrape quand même les bouquins et les jumelles et je réussis à identifier tout un tas de constellations : le scorpion, le sagittaire, le centaure avec la célèbre étoile Alpha Centauri et surtout la mythique Croix du Sud. En passant également, le Loup, le Triangle Austral, les amas stellaires Omega du Centaure, M6 du scorpion, la Boîte à Bijoux dans la Croix du Sud. En revanche pour les nébuleuses il faudra revenir par des nuits plus sombres. Vénus annonce l'arrivée du soleil et de Philippe qui s'inquiétait de ne pas avoir été réveillé. Vivement la nuit prochaine.

 

Zone de calme

 

On envoie le spi pour profiter d'une légère brise. Je me recouche et je dors un quart d'heure. Il fait de plus en plus chaud et il y a de moins en moins de vent. Moteur. On espérait que le pot au noir se limiterait à l'épisode de cette nuit mais il semblerait qu'on soit dedans. On ruisselle littéralement à l'intérieur du bateau et on cuit à l'extérieur. A l'étouffée ou au grill ? Nous longeons une ligne de grains et à l'ombre des nuages quelques gouttes de pluie nous rafraîchissent. Cela ne nous empêche pas d'avoir faim et ce midi ce sera une côtelette de thazard au coulis de tomates. Je perds deux litres devant le fourneau, il fait trente cinq degrés dans le carré. Je me console en pensant qu'il gèle peut-être à Lyon.

 

 

Nous dégustons un splendide coucher de soleil, toujours sans une once de vent.

 

 

On se régale de pain perdu avec ce qu'on a sauvé de la moisissure.

 

 

Ah, j'oubliais, la température de l'eau est de 31,5 degrés.

 

Fin du jour...

 

 

 En mer, lundi 21 mars 2011 (7ème jour – 0°22S 27°00W)

 

Ça y est. Nous avons passé l'équateur cette nuit à 05 heures 40, moteur coupé, sur l'erre, par 27° et 15 minutes ouest. Enfin au calme.

 

 Sud !!!

 

Nous procédons à la traditionnelle cérémonie d'intronisation des quatre néophytes que nous sommes. Toubab et Zéro sont également concernés. Finalement, le champagne passe bien, même pour ceux qui viennent de se réveiller. Nous buvons à la santé de Jean-Marc, patron du restaurant des Deux Places à Lyon, qui, étant lui-même navigateur m'a gentiment offert avant le départ, une bouteille de sa réserve personnelle à déguster au passage de la ligne. La solidarité des gens de mer n'est pas un vain mot.

 

Zéro à l'équateur

 

Sieste jusqu'au lever du jour.

 

Lever de soleil à l'équateur

 

Grave pétole. On est vraiment scotchés. Le vent varie entre zéro et quatre nœuds.

 

Production en chute libre : 0,0 mégawatt

 

On passe la matinée à envoyer et affaler le spi qui a bien du mal à rester gonflé.

 

Ciel de grains

 

Il fait chaud mais la température de l'eau a chuté. Elle n'est plus qu'à 30,5 degrés.

En même temps c'est normal que l'eau soit fraîche, on est quand même en automne. Alors qu'hier c'était l'hiver. Je vais surveiller les pendules, peut-être que la force de Coriolis les fait tourner à l'envers dans l'hémisphère sud. Compliquée, la vie de marin.

 

 Fait chaud, pas beaucoup d'ombre...

 

La journée passe en alternant douche, réglage du spi, douche, sieste, douche.... Nous constatons depuis deux jours une transparence particulière de l'air. On a le sentiment de voir très loin et très net. Le ciel et l'océan sont vides de vent et de bateaux. Une journée entière à ce rythme me donne une conscience aiguë de notre insignifiance sur l'immensité de l'océan.

 

Vérification : on y est bien passé.

 

 

En mer, mardi 22 mars 2011 (8ème jour – 01°40S 27°48W)

 

  

Pot au noir

 

Pour une fois, je dormais bien quand l'homme de quart est venu me réveiller pour prendre mon tour. Deux heures du matin, mer toujours aussi calme. Les grains apparaissent sur l'écran radar, ce qui permet d'anticiper pour les éviter, car les rafales y sont réputées violentes. Les fichiers météo nous laissaient espérer toucher du vent dans la nuit, mais ils ont du se tromper. Deux tentatives pour envoyer le génois et couper le moteur se révèlent infructueuses. Il y a vraiment trop peu d'air. Au matin nous sommes toujours dans la zone des grains, caractéristique du pot-au-noir, donc de calme. La température de l'eau extérieure est de 33,5 degrés...

 

Grain

 

La température de l'eau extérieure est de 33,9 degrés...

 

Oui, c'est bien la température... 

 

Un rapide calcul nous indique qu'il nous reste du carburant pour vingt six heures de moteur. Comme il faut en conserver pour l'arrivée et par sécurité, il est clair que nous serons bientôt contraints de naviguer à l'ancienne. C'est à dire exclusivement à la voile et patiemment. Si ça dure, cette traversée va peut-être se transformer en cure d'amaigrissement.

 

Pas de pot, on n'avance plus....

 

Le vent refait son apparition en fin de journée. Peut-être la fin du pot-au-noir. Nous remettons la ligne de traîne, elle nous freine un peu mais il faut quand même bien se nourrir et nous avons presque terminé notre thazard.

 

 

En mer, mercredi 23 mars 2011 (9ème jour – 03°04S 28°27W)

 

Cette nuit, le vent est à nouveau tombé. Pendant mes deux premières heures de quart, vitesse surface entre zéro virgule zéro nœud et zéro virgule trois noeud. Mais un courant plutôt favorable nous entraîne vers le sud-ouest. Toujours des grains par ci par là. Pas de pot, c'est justement signe que nous sommes toujours dans le pot. Vers cinq heures, une petite brise à l'air de vouloir s'établir, Branle-bas de combat sur le pont ; j'empanne, je règle et on décolle péniblement pour se stabiliser à la vitesse prodigieuse d'un nœud et demi. Je remet en route le pilote. Heureusement que le courant est favorable parce que sinon on aurait peut-être bien repassé l'équateur en marche arrière.

Réveil à neuf heures et bonne nouvelle, une bonne brise nous permet d'avancer à plus de cinq nœuds. Nous n'osons pas chanter victoire trop vite mais l'aspect du ciel est engageant. Et comme une bonne nouvelle n'arrive jamais seule, la ligne de traîne se tend.

 

Ca mord

 

Des éclairs bleu turquoise me laissent penser que c'est une coryphène de bonne taille. Tant mieux, ça nous changera du thazard. Finalement c'est encore un thazard, le frère jumeau de celui que nous avons pêché il y a cinq jours. Neuf kilos pour un mètre vingt de long. Tant mieux, le thazard est vraiment un excellent poisson. A priori, question approvisionnement, nous sommes parés jusqu'à Salvador, si le vent se maintient.

 

Balthazar III

 

Le dépeçage de la bête m'occupe une grande partie de la matinée. Lorsque j'ai terminé, le pont est un champ de bataille à côté duquel la Tranchée des Baïonnettes ou le Chemin des Dames font figure de cour de récréation. L'avantage en bateau c'est qu'il suffit de remonter un seau d'eau et c'est propre.

 

Utilité de la jupe

 

Après-midi mou : sieste, ordinateur et lecture. Je partage mon temps entre le manuel des Glénans, les bonnes recettes de cuisine d'Antoine autour du monde et les journaux du début de l'année. Il faut quand même se tenir un peu au courant de l'actualité.

Le ciel devient changeant, perturbé mais le vent se maintient. Après avoir atteint l'équateur, qui constituait un objectif intermédiaire porteur de sens, puis trouvé la sortie du pot-au-noir, je crois qu'il commence à nous tarder d'arriver. Mais nous n'y sommes pas encore : il reste plus de sept cents milles à courir, au moins quatre jours...

 

Coucher de soleil

 

 

En mer, jeudi 24 mars 2011 (10ème jour – 04°56S 30°10W)

 

Journée musclée. Le quart de nuit se passe à slalomer entre les grains et à la manœuvre ; prise de ris, et remplacement du génois par a trinquette, en fonction de la force variable du vent au voisinage de chaque grain. Pas le temps de s'ennuyer.

 

 Les grains sur l'écran radar

L'avantage c'est que maintenant on avance. Impossible d'échapper au dernier de la série, nous sommes cernés de tous côtés. Alors que le jour se lève, nous replongeons dans l'obscurité et un véritable déluge nous tombe dessus. Le bateau est nettoyé de la poussière accumulée depuis des semaines et les écoutes raidies par le sel retrouvent une seconde jeunesse. Nous en profitons pour prendre une douche qui pour une fois n'est pas rationnée.

 

 

Jusqu'en milieu d'après midi nous naviguons au près dans une mer houleuse, sous un ciel gris et toujours sous la menace des grains environnants. Nous retrouvons les conditions de vie d'un voilier : à la gîte en permanence, cuisine acrobatique et appétit aléatoire, en fonction des manœuvres et de l'humeur de nos estomacs respectifs. En ce qui me concerne, les manœuvres et la barre m'ont donné faim et j'engloutis une bonne plâtrée de riz avec une sauce tomate mijotée aux oignons et champignons avec un reste de thazard mariné.

  

 La cambuse

Durant tout l'après-midi, nous naviguons sur une mer agitée. La croisière n'est plus aussi agréable, certains estomacs retombent dans leurs errements des premiers jours et l'ambiance s'en trouve moins sereine. Chacun espère sans doute secrètement que cette zone dans laquelle nous traversons une météorologie perturbée, laisse place le plus rapidement possible à des conditions de navigation plus douce. L'hémisphère sud est moins hospitalier que son frère jumeau du nord !

 

 

 

En mer, vendredi 25 mars 2011 (11ème jour – 07°12S 32°01W)

 

Nous retrouvons l'ambiance tropicale des jours qui ont précédé le pot-au-noir et je dois dire que ça fait du bien, physiquement et moralement.

 

 Crevant...

 

Le ciel bleu, parsemé des cumulus floconneux caractéristiques de la zone des alizés, un vent tranquille et régulier, une mer calmement ondulante. Tout cela nous offre une navigation paisible au cours de laquelle chacun peut vaquer en toute liberté à l'activité qu'il choisit de privilégier à un moment donné de la journée: régler les voiles, dormir, cuisiner, écrire, manger, rêver, lire, écouter de la musique, caresser un chat...

 

 

Petits aléas de la voile : par deux fois, le bras de spi se libère du point d'amure ; la première fois le nœud de chaise qui ne se défait jamais réussit à se défaire tout seul pour la première fois dans l'histoire de la marine à voile ; c'est l'exception qui confirme la règle ; nous sommes très honorés que cet événement se soit produit à notre bord et n'imaginons pas un seul instant que le nœud ait pu être fait à l'envers. Un peu plus tard, il se libère tout seul du tangon. Pas d'explication. A chaque fois branle-bas de combat sur le pont mais heureusement il n'y a là rien de grave. Le spi flotte joyeusement en chiffon dans les airs à côté du bateau ; il suffit de le récupérer, et de le remettre à sa place, ce qui ne pose aucun problème par ce petit temps. Toutefois cela nous rappelle qu'il faut rester vigilant et toujours être en situation de réagir à un incident inattendu.

 

 Crépuscule

Aujourd'hui, j'ai lu « Tragédie à l'Everest » de Jon Krakauer, récit d'une ascension tragique sur le Toit du Monde en 1996 ; paradoxalement, ce livre me donne envie de montagne. Ce n'est pourtant pas vraiment le moment. Je n'aimerais pas voir des montagnes d'eau salée balayer le pont.

 

 Ce soir,  soleil couchant.

 

 

En mer, samedi 26 mars 2011 (12ème jour – 08°51S 33°31W)

 

Cette nuit un oiseau noir est venu se poser sur la dérive bâbord. Il est resté un bon moment puis il est reparti. Est-ce un présage ?

Nous sommes maintenant proches du Brésil, même si Salvador est encore à plusieurs jours de navigation. Nous longeons la côte, à une centaine de milles de distance, et allons nous en rapprocher progressivement. L'imminence de l'arrivée ne fait qu'accroître notre impatience. Philippe assure que c'est toujours comme ça : les trois derniers jours sont interminables. Comme les trois premiers sont nécessaires pour s'accoutumer aux mouvements du bateau et au rythme des quarts, il ne reste finalement que peu de temps pour profiter pleinement de la traversée.

 

 Monotone, la traversée ?...

 

Nous avons du sacrifier aujourd'hui quelques bananes que nous n'avons pas suffisamment surveillées et qui se sont gâtées. Il faut vraiment être rigoureux sur la question de l'inventaire quotidien.

Un autre détail indique que le temps du Brésil est arrivé. La conversation s'est portée sur les désirs alimentaires : qui de viande, qui de glace. Un détail qui commence également à peser, c'est l'état du linge. On a beau essayer de rincer les vêtements et les faire sécher, ils restent poisseux, sans doute à cause du sel et de la chaleur. Pareil pour les draps et comme il est difficile d'aérer les cabines, le coucher n'est pas le moment le plus agréable de la journée. Je rêve de me glisser entre des draps propres et frais, parfumés à la lavande.

Aujourd'hui nous avons utilisé le spi pour la dernière fois car la drisse qui permet de le hisser a rendu l'âme. Nous avions remarqué une usure anormale et procédé à une réparation de fortune, mais les mêmes causes produisant les mêmes effets, elle a fini par nous lâcher. Il faudra aller voir ce qui se passe en tête de mât. Nous ferons cela une fois arrivés. Même si le temps est beau et la mer relativement calme, il y a quand même un peu de houle et les oscillations là-haut ne seraient pas des plus confortables. Ce serait dommage d'avoir un accident à soixante dix milles de la côte.

Pour remonter le moral de l'équipage, j'ai concocté un petit dîner à base de jarret de porc, petits pois et oignons-tomates-pommes de terre façon sénégalaise, et en dessert des poires au sirop. L'opération a réussi, tout le monde a apprécié cette bonne surprise.

 

 

Aujourd'hui, c'est l'anniversaire d'Axel. Bon anniversaire Axel !

 

 

 One more time !...

 

 

En mer, dimanche 27 mars 2011 (13ème jour – 10°26S 35°07W)

 

Cette nuit j'ai aperçu le halo lumineux des grandes villes côtières brésiliennes : Recife au nord-ouest, Maceio au sud-ouest. La lune décline et ne se lève plus que vers minuit, ce qui me laisse le temps de poursuivre mes études astronomiques. Ce quart a été fructueux car j'ai pu observer à loisir la Carène avec sa nébuleuse Eta Carinae et l'amas d'étoiles NGC3532, la fausse Croix du Sud, les Pléïades du Sud, les Voiles, le Poisson Volant, le Corbeau, le Compas, le Triangle Austral, le Scorpion, la Vierge, le Bouvier, les Chiens de Chasse, la Chevelure de Bérénice... Quelle moisson !

J'espère encore apercevoir avant d'arriver à Salvador, le Grand Nuage de Magellan, si notre latitude le permet.

Sur la radio brésilienne en FM, nous avons entendu la version brésilienne de « quelqu'un m'a dit ». Ainsi, Carlita contribue à la balance commerciale de la France ! C'est quand même mieux que de leur vendre des avions de combat.

 

Pavillon de courtoisie

 

La moitié des pommes qui nous restent est consacrée à la confection d'un crumble. De son côté, Philippe le skipper cuisinier se lance dans le roulage de boulettes de poisson aux oignons et sauces chinoises. Nous revenons à l'essentiel. La cuisine est en train de devenir notre principale activité. Elle contribue à maintenir une bonne harmonie au sein de l'équipage. La contribution de chacun et le plaisir partagé sont créateurs de liens et facteurs de détente. On est plus enclin à la tolérance avec le ventre plein et l'esprit envahi de bonnes sensations.

J'ai remis la ligne à l'eau, même si nous avons encore des filets de thazard dans le réfrigérateur. Arriver à Salvador avec du bon poisson frais à offrir ne peut que contribuer à nous rendre le séjour agréable. Je me réjouis d'avance de retrouver là-bas Marc et Fanfan qui nous avaient si gentiment accueillis dans leur maison-crêperie de Mortagne lors du départ vers Madère. Il y a seulement six mois, mais j'ai l'impression d'avoir vécu deux ou trois vies depuis.

 

 

 Génois tangonné

 

Le ciel est bleu, floconné de petits cumulus, la température de vingt neuf degrés est parfaitement agréable compte tenu de la brise. L'alizé... Quel confort de vivre du matin au soir, et même la nuit torse nu, au soleil, de prendre une douche dans la jupe sans grelotter, de faire ce que l'on veut quand on le veut. Dans ces conditions, la succession de ces journées qui peut paraître monotone de l'extérieur, n'a vraiment rien de difficile à supporter. J'aurais plutôt envie que cela continue. Seule la perspective de découvrir un nouveau pays me permet d'en appréhender l'échéance sans amertume. Il va bien falloir se poser la grande question : et après ?

 

 

En mer, lundi 28 mars 2011 (14ème jour – 11°58S 36°49W)

 

Un bon vent cette nuit nous poussait à plus de huit nœuds et nous laissait espérer une arrivée dans la nuit. Mais derrière la ligne de grains, le vent a baissé et Salvador ne sera pas encore pour aujourd'hui.

 

 

A midi nous retrouvons la pétole mais heureusement nous bénéficions toujours d'un courant favorable qui nous entraîne doucement vers le sud-ouest. Le challenge est d'arriver avant demain matin 09h30 heure de Dakar, pour rester sous la barre des quinze jours.

 

 Ca a l'air meilleur que mes croquettes...

Il y a trois jours, Stéphane s'est lancé dans une expérience de germination à partir d'un sac de vieilles graines retrouvé dans la soute. Les germes d'un joli vert tendre on grandi de plusieurs centimètres mais la dégustation n'a pas été à la hauteur de nos espérances. Trop fibreux. C'était peut-être des graines de baobab.

 

 

L'après-midi est consacré à la mise ne place d'une stratégie voiles-moteur destinée à nous amener à l entrée de la baie de Todos Os Santos de jour, mais de sorte que notre score reste inférieur à quatorze jours, ce qui implique une arrivée avant demain matin 9h30.

 

Presque !... 

 

 

Salvador, mardi 29 mars 2011 (Bahia – Brésil)

 

J'ai pris mon quart à minuit, et finalement je ne me suis pas recouché, pour profiter au maximum de cette dernière nuit de navigation. La lune se lève de plus en plus tard et ne présente plus qu'un mince croissant. Maintenant que nous nous approchons de la côte, il faut veiller plus attentivement car les petits bateaux de pêche vont refaire leur apparition.. Avec notre feu vert tribord qui s'allume quand il a le temps, nous ne sommes pas bien visible dans cette nuit obscure. Comme les pêcheurs n'allument pas leurs feux en permanence, tout le monde est dans le noir. Pour assurer, je donne un coup de radar de temps en temps, ce qui permet aussi de repérer les grains, qui ont refait leur apparition. Il faut s'en approcher pour profiter du vent à la périphérie, mais éviter de se retrouver dessous. Bien pratique ce petit appareil. Les lumières de la côte sont de plus en plus visibles et au petit matin on distingue nettement les immeubles qui bordent le littoral. On est bien loin de la jungle amazonienne.

 

Un léger choc !

 

 

 

 

 

Nous réussissons à prendre contact par VHF avec Marc et Fanfan, des amis de Philippe rencontrés à Mortagne au mois de Septembre dernier lors du départ pour Madère. Leur bateau est actuellement au Brésil et ils sont venus y passer quelques mois.

Il nous semble longer la ville depuis un très long moment quand nous tournons enfin le phare qui marque l'entrée de la Baia de Todos os Santos, la Baie de Tous les Saints.

 

Le phare de Barra

 

Nous entrons le port de Salvador vers 8h30, laissons le fort sur tribord et nous nous dirigeons vers le ponton sur lequel s'agite un petit bonhomme, que nous supposons être le représentant de la capitainerie. En nous approchant nous constatons que c'est Marc, qui a tenu à venir nous accueillir à notre arrivée. Fanfan n'est pas loin, nous l'apercevons sur le quai. Je suis un peu déçu qu'ils n'allument pas des fusées rouges et des feux de bengale. Il aurait sans doute fallu arriver de nuit.

 

La marina, au pied du quartier historique

 

Nous réussissons assez bien la manœuvre d'atterrissage en marche arrière, sans emplafonner le ponton, ce qui n'est pas rien après quatorze jours de ligne droite sous pilote automatique. Plus exactement treize jours, vingt trois heures et cinquante neuf minutes.

 

 

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05/05/2011

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