Ohé matelot ! Quelques pérégrinations en voiliers

Ohé matelot !    Quelques pérégrinations en voiliers

Arrivée à Dakar

Je me réveille alors que l'avion amorce sa descente et j'aperçois au clair de lune, par le hublot, la côte rectiligne de l'Afrique, que nous longeons au dessus de la mer. Je suis surpris de voir des villages éclairés, bien avant Dakar. Je m'attendais inconsciemment à un continent vide, ou en tout cas plongé dans l'obscurité à l'exception des grandes villes, et ce n'est pas le cas. Nous arrivons au dessus de Dakar et j'essaie en vain de repérer l'aéroport et la zone où se trouve le mouillage, d'après mes souvenirs de la carte examinée sur internet ; j'espère qu'il n'y a pas eu un nouveau changement de destination pendant que je dormais. Nous quittons la zone pour aller décrire un immense cercle au-dessus de la baie et revenir prendre l'alignement de la piste. La manœuvre m'a surpris mais j'aperçois les feux d'autre avions en attente. Il y a du monde en l'air. Nous descendons et frôlons d'un peu trop près à mon goût les toits des habitations, un coup de gaz qui ne me plaît pas et nous touchons la piste un peu brutalement et surtout très vite. Mais finalement tout se passe bien et l'avion gagne son parking à proximité de l'aérogare Léopold Sedar Senghor (facile c'est marqué dessus en lettres lumineuses).

Le temps d'approcher une passerelle et un bus et je sors de l'avion parmi les premiers. Le privilège du voyage en première classe ! Curieusement la température est fraîche et je supporte ma polaire. Toute une agitation au bas de l'escalier, un aréopage s'affaire pour accueillir le petit bonhomme élégant en costume cravate qui occupait le siège de devant et l'escorter jusqu'à une somptueuse limousine venue le chercher directement à l'avion. J'ai probablement voyagé avec une personnalité de premier plan, qui sous ses airs débonnaires et sa courtoisie, dissimule peut-être le caractère sanguinaire d'un dictateur à la mode africaine. J'ai eu chaud... Un dernier saut de puce en bus nous amène devant le hall d'arrivée et là, on y est. Bienvenue au Sénégal ! Le hall est déjà bondé, mais cela ne nous empêche pas d'entrer, ce que feront également les passagers des vols qui se poseront immédiatement derrière nous. Il y avait effectivement six ou sept avions en l'air, arrivés tous en même temps, probablement à cause des retards. Tout ce monde doit récupérer une fiche à remplir pour passer à l'immigration. Trouver les fiches qui traînent un peu n'importe où, emprunter un stylo, choisir un emplacement dans le hall, en espérant que cela corresponde à une file d'attente. La répartition est très approximative mais les files se forment progressivement en se rapprochant des guichets. Il faut avancer sur plusieurs dizaines de mètres sans trop savoir ce qui se passe devant. Je choisis de me laisser porter par le flux sans essayer de jouer des coudes pour gagner quelques places. Quand j'approche du guichet j'ai vraiment un doute sur le choix de la file car il me semble que je suis dans une zone de trafic local plutôt qu'international mais ça ne pose aucun problème. Le douanier prend ma fiche, contrôle mon passeport et me laisse passer. Je me dirige vers le hall de livraison des bagages et je passe devant un dernier guichet, inoccupé mais rempli de fiches d'immigration, entassées en vrac et qui se répandent jusqu'à mes pieds par la poste grande ouverte. Ça doit être le fichier central. Je passe devant en gardant mon sérieux et en essayant de me confectionner l'air du voyageur fatigué, normalement préoccupé par la récupération de ses bagages. Je ne voudrais surtout pas froisser la susceptibilité d'un fonctionnaire local qui pourrait décider arbitrairement de me faire passer l'envie de sourire. Heureusement, ils ont d'autres chats à fouetter.. Lorsque je franchis la porte, je sais que mon sens de l'humour ne me sera plus d'aucun secours car le hall des bagages est aussi bondé que le précédent et c'est une vraie cohue autour du tapis roulant. Un sénégalais m'accoste et m'informe qu'un chauffeur qui n'a pas l'accréditation pour entrer m'attend à l'extérieur, et qu'il me guidera jusqu'à lui dès que nous aurons récupéré mes bagages. Je me doute que le système de rabattage est bien rôdé et je ne lui prête pas trop attention. Pour l'instant ma priorité c'est de récupérer mes deux cartons avant que quelqu'un ne profite de la pagaille pour les embarquer. Justement j'en aperçois un qui approche et j'arrive à le récupérer tant bien que mal. Il a bien supporté le voyage, j'ai juste a remettre en place la ficelle qui fait astucieusement office de poignée pour le transport. Entre temps, mon rabatteur revient avec un chariot à bagages. Je lui signale que j'attends un second carton pour qu'il s’intéresse à une proie plus immédiatement disponible et je m'efforce d'obtenir un angle de vision sur le tapis entre les dizaines de têtes qui me bouchent la vue. Des valises arrivent en permanence dans un brouhaha infernal, certaines tombent du tapis dans les virages, à coté de moi un homme prend une valise et revient trois minutes plus tard la reposer, il s'est trompé, ce n'est pas la sienne. Je monte sur le chariot vide laissé près de moi, pour avoir une meilleure vue sur le tapis. Toujours rien. Je finis par repérer un employé qui me confirme que le déchargement du vol d'Alger n'est pas encore terminé. Il faut patienter. Je me demande comment il le sait parce que rien n'est affiché mais il a l'air sur de lui. Je continue a surveiller. Des valises arrivent en provenance de Tripoli. Les voyageurs me confirment qu'ils sont venus à bord d'un vol Paris Tripoli Dakar. Mon annulation n'est donc probablement pas due aux événements mais à un problème technique sur l'avion. Le temps passe et toujours rien. Je me mets en quête d'un bureau pour obtenir des informations. On m'indique un coin du hall. Je m'y rends en moins de dix minutes ce qui n'est pas mal compte tenu des difficultés que je rencontre pour faire avancer mon chariot au milieu des gens, des autres chariots et des bagages. Dans le coin, un bureau vitré dans lequel une femme est assise devant un écran d'ordinateur éteint. Elle dort. D'une certaine manière, c'est un peu normal car il est deux heures du matin. J'interroge un policier probablement éduqué par un missionnaire jésuite puisqu'au lieu de me renseigner il se met à me poser des questions avec un air suspicieux. Heureusement je réussis à le satisfaire et il m'indique à l'extrême angle du hall, l'entrée d'un étroit couloir obscur et sinueux. Je m'empresse d'obtempérer, sur les pas d'un employé bienveillant qui m'encourage à le suivre. Le cadre est de plus en plus glauque, carrelage sale, marches cassées, lumières hors d'usage. Je finis par déboucher dans un entrepôt ou des valises, des ballots, des cartons sont posés, entassés, apparemment n'importe comment. Un bureau et une file d'attente d'au moins vingt personnes. Je ne suis pas seul, ça me rassure. Quelques minutes passent et arrive mon voisin, celui du pastis, qui m'annonce avec un sourire fataliste que lui non plus n'a pas son bagage. Il n'a pas l'air inquiet, c'est bon signe car il est habitué. Encore une petite décharge d'adrénaline et je finis par remettre la main sur les coupons d'enregistrement de mes deux cartons que j'avais machinalement rangés dans mon portefeuille. Nous faisons la queue en devisant philosophiquement sur les aléas du voyage. Le temps passe et notre tour arrive. L'employé en uniforme assis derrière son bureau nous apprend alors que pour le vol en provenance d'Alger, il faut s'adresser au bureau d'à côté. Nous ressortons et constatons, ainsi qu'il me semblait l'avoir remarqué en arrivant, que le bureau d'à côté est éteint et inoccupé. Je retourne voir l'employé en uniforme, sans faire la queue, et il me répond de patienter car son collègue va revenir. Je suis rassuré. Néanmoins, nous prenons le taureau par les cornes et retournons dans le hall d'arrivée des bagages nous renseigner auprès du policier jésuite, qui est en pleine conversation. Ça tombe bien, son interlocuteur est justement l'employé du bureau vide qui regagne son antre sur le champ, accompagné de ses deux assistants à qui nous emboîtons le pas. Après avoir rallumé la lumière, examiné nos coupons et consulté son ordinateur, il dresse un constat d'irrégularité bagage dûment tamponné dont il nous remet un exemplaire et qui nous confirme ses instructions : téléphoner lundi matin pour avoir des informations. Je retraverse le hall de livraisons des bagages qui est un peu moins bondé que tout à l'heure et je me présente au contrôle de sortie des bagages. Encore un petit coup de scanner pour la route et me voici enfin devant la porte de sortie de l'aéroport Léopold. Il est trois heures du matin et j'ai récupéré cinquante pour cent de mes bagages. C'est l'Afrique, ça ne marche pas à tous les coups, même si on pense savoir pourquoi ! Il ne me reste plus qu'à trouver un taxi en espérant qu'il sache où se trouve le Cercle de Voile de Dakar. J'ai fait trois pas à l'extérieur et on m'a déjà proposé de changer des dollars et des euro, un taxi, un hôtel, quand un homme m'appelle par mon prénom. Je lui demande qui il est ; il se présente, c'est Nango, mon chauffeur du CVD qui m'a attendu pendant plus de trois heures. Il charge mes bagages, je monte dans son taxi et nous partons. On discute tout en roulant. Rapidement, il met le chauffage en route ; j'ai vraiment chaud mais j'hésite à en parler car je ne sais pas s'il croit me faire plaisir, s'il lui tient à cœur de me démontrer les qualités de confort et de modernité de son véhicule, ou s'il a tout simplement froid. Comme Nango est plutôt sympathique, je transpire en silence pour ne pas le décevoir. Heureusement que je suis certain de pouvoir lui faire confiance, car l'itinéraire est plutôt inquiétant : autoroutes , immeubles en construction, zone plus ou moins industrielle, voie de chemin de fer sans barrière, le tout peu éclairé, pour finir dans une ruelle carrément obscure où traînent quelques petits groupes mal identifiables... Le bitume a fait place à du sable. La voiture s'arrête enfin devant un portail, nous descendons dans la pénombre et je suis vraiment soulagé quand je vois arriver Philippe, le skipper noctambule qui nous accueille chaleureusement. Dernière étape du voyage : descente jusqu'à la plage, un ponton pas trop branlant, un coup d'annexe et nous voici à bord de Zéro. Je lui confirme que oui, mon voyage s'est bien passé. Vu l'heure on ne s'attarde pas, il fera jour demain.

 

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30/03/2011

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